Tout était si lumineux... Shandra se sentait si bien... tout semblait un peu flou, comme en ces moments où l'esprit oscille entre le rêve et l'éveil. Oui, elle était bien. Mais si fatiguée... elle aurait voulu s'abandonner enfin au sommeil, à un profond sommeil. C'était si facile, si tentant ! Il suffisait de se laisser glisser...
- Ne fais pas ça, Shan. N'abandonne pas.
La jeune elfe tourna la tête vers la silhouette un peu indécise qui se penchait sur elle.
- Ada ?
- Oui, ma chérie, sourit tristement Celdric.
Curieusement, elle sut aussitôt que c'était lui, et non une des illusions trompeuses du sorcier undead : dans l'autre songe, son père avait l'air heureux. Or elle ne l'avait jamais vu heureux. Elle ne se souvenait que d'un jeune seigneur aux traits tirés, le regard préoccupé et empli d'une profonde lassitude. Seules des images fugitives lui revenaient : Celdric traversant un couloir entouré de conseillers dicutant à hauts cris ou d'officiers à l'air grave, Celdric qui s'endormait d'épuisement dans son fauteuil, face à un bureau surchargé de parchemins en désordre, Celdric qui n'avait pas eu le temps de s'apercevoir qu'il avait une fille...
- Mais maintenant je m'en suis aperçu. Et je suis si fier ! Toi, tu as encore tant et tant de choses à vivre. Je ne veux pas que tu me rejoignes, tu comprends ? Tu dois t'accrocher, t'accrocher de toutes tes forces !
- C'est trop dur. Je n'y arrive pas.
Celdric posa une main sur son front moite. Ce contact était tel un souffle très doux, apaisant.
- Oh, oui, je sais bien que c'est dur. Cependant tu as tellement de volonté, tellement plus que je n'en ai jamais eu...
Il s'interrompit un instant, le visage à demi tourné, comme pour tendre l'oreille.
- Tu entends ? Il y a quelqu'un qui a besoin de toi. Résiste pour lui.
En effet, il lui semblait entendre la voix de Glorfindel, loin, si loin. Elle n'en saisissait pas les mots, mais pouvait y percevoir une terrible angoisse.
- J'essaye, j'essaye, mais c'est mon corps qui est en train de mourir et qui m'entraîne vers toi !
- C'est parce que tu tentes de t'en détacher.
- Mais la souffrance est tellement...
- C'est l'unique moyen de retarder l'échéance. Je t'en prie, fais-le, fais-le pour moi.
Celdric paraissait de plus en plus inquiet. Ses traits devenaient de plus en plus indistincts.
- Ne me laisse pas ! Ne me laisse pas toute seule !
Tout devenait obscur. La douleur... oh, elle la sentait avec une atroce acuité. C'était trop, c'était trop à supporter. Juste avant de sombrer dans la nuit, Shandra perçut un dernier murmure quasi inaudible :
- Tu n'es pas seule. Tu n'es plus seule.
Ensuite, plus rien.
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