[HRP]Bon bah voilà. J'étais tout content de poster ce chapitre et j'allais faire plein de commentaires allègres, mais le départ de Seytahn m'en a ôté l'envie. Donc juste voilà.[/HRP]
Récit de Rocor: Le livre de Dem
J'avais passé la nuit en opérations magiques diverses, nécessaires pour la suite des opérations. Enfin, les desseins auxquels je travaillais depuis tant d'années prenaient forme. Bientôt... Mais il n'était pas encore temps de se répandre en congratulations. Peu après l'aube, je descendis l'escalier de bois menant à la pièce principale de l'auberge, sachant que les compagnons rencontrés hier ne tarderaient pas à me rejoindre.
Ce qu'ils firent peu après que je me fus attablé, l'un après l'autre... La discussion débuta mollement, s'animant ensuite tandis que les esprits sortaient des brumes du sommeil. Une fois de plus, ce fut dame Melodia qui lança le sujet que nous attendions tous.
- Je ne voudrais pas déranger vos tergiversations messieurs, mais peut-être serait-il temps de commencer ce dont nous avons parlé hier. Je prévois de longs récits, et le soleil ne ralentira pas sa course pour les écouter avec nous.
Je souris à ces derniers mots. La dame ne savais pas à quel point ils étaient bien choisis...
- Aussi, reprit-elle, nous devrions procéder sans tarder à ce fameux tirage au sort.
- Vous parlez vraiment d'or chère amie, et cela ne peut que vous attirer les faveurs d'un nain. Ma foi, j'ai déjà préparé ce qu'il nous faut afin que le destin désigne ses élus.
Rocor posa alors sur la table un casque contenant plusieurs morceaux de papier pliés.
- Que chacun tire son chiffre! A chaque jour nouveau, celui dont ce sera le tour pourra nous abreuver du flot de ses histoires merveilleuses, nous rassasier de contes mystérieux, nous faire rêver à ses voyages extraordinaires...
- Oh assez! -le coupa la voix aigüe de Nourph- J'ai suffisamment enduré vos insupportables envolées lyriques! Pourquoi diable n'êtes-vous point capable d'être concis? Faites circuler ce casque et allons-y!
-Bon, bon, du calme. Je propose d'accorder le privilège de la première main à celle qui nous prouve sa générosité sans égale en nous accordant le privilège incommensurable de contempler sa magnificence, à la plus... heu...
Le nain, sous les regards courroucés, ravala la tirade qu'il s 'apprêtait à déclamer.
- Enfin bref, dame Melodia, à vous.
Avec un sourire, cette dernière pris le casque, tira un papier, puis me tendit l'objet. J'exécutai la même manoeuvre et le suivant répéta l'opération, jusqu'à ce que chacun fût servi. Nous dépliâmes ensuite les morceaux de parchemin.
- Alors, de qui est-ce le tour?
- Et bien, il semblerait que je sois le premier! Je vais donc commencer par...
- Minute môssieur le nain! Je vous signale que nous sommes cinq. Même si c'est notre histoire qui est sortie, je ne vois pas pourquoi c'est vous qui devriez la raconter!
- Et bien môssieur Flïn, je pense qu'étant le chef de ceux qui vous ont aimablement amené ici en vie et en un seul morceau, il serait logique que...
- Que rien du tout! Nourf et moi-même vous payons pour ça, cela n'a rien à voir. Et puis tout a commencé avant que vous n'arriviez, alors quelles âneries allez-vous inventer pour remplacer ce que vous ignorez?
- Vous n'avez peut-être pas tort... Chacun notre tour alors?
Le gnôme médita cette idée quelques instants, puis céda devant l'impatience évidente du petit groupe.
- Bon d'accord, je vous laisserai la parole plus tard. C'est donc à moi...
Il se mit debout sur sa chaise et s'éclaircit longuement la gorge, avant de commencer à raconter, de sa petite voix aigüe
Cette histoire commence dans la ville de Gräk Burïm, à l'entrée de la chaîne de montagne constituant la frontière septentrionale de notre contrée. Nourph et moi-même y tenons un commerce florissant. Nous nous enorgueillissons en effet de pouvoir fournir à nos clients n'importe quel ouvrage jamais écrit, ou de savoir le cas échéant à quel endroit il se trouve. D'ailleurs, si l'un d'entre vous s'intéresse aux livres rares, nous avons toujours le temps pour une petite transaction, et nos prix sont vraiment compétitifs compte tenu de ce que nous sommes parfois obligé de faire pour mettre la main sur les pièces de collection que l'on nous commande... Enfin bref.
Or donc il advint qu'un certain soir, alors que nous nous apprêtions à fermer boutique pour prendre un repos bien mérité, un vieil homme, vêtu de façon élégante, entra dans notre boutique. Appuyé sur sa canne finement ouvragée au pommeau de rubis, il nous toisa un long moment de ses yeux d'un bleu de glace. Nous restâmes figés, sans rien dire. Certes, nous aurions pu mettre cet énergumène à la porte pour aller nous coucher, mais le rubis sur sa canne était le plus gros que nous ayons jamais vu. On ne met pas dehors un client potentiel qui a l'air aussi riche! Lorsqu'il en eut assez de contempler notre magnificence, réhaussée par la superbe décoration de notre établissement, il remonta sur son nez ses lunettes à monture d'or, lissa sa moustache immaculée et nous proposa de parler affaire, comme ça, de but en blanc. Avec affabilité, nous le conduisîmes à notre bureau et commençâmes à marchander. Je ne vous décrirais pas notre conversation par le menu, car je dois conserver secrets nos procédés de marchandage, qui sont d'une rare efficacité, vous vous en doutez. Toujours est-il que nous sommes parvenus à un accord. Ce fin collectionneur désirait mettre la main sur un ouvrage rarissime, le livre de Dem, un tome de magie rédigé dans une langue qui nous est incompréhensible mais qui revêt pour certains une grande importance. Et justement, nous avions récemment appris où il se trouvait! Le hasard fait vraiment bien les choses, non? Aussi nous fournit-il une avance, pour nos frais, et nous lui promîmes de lui procurer l'objet au plus vite. Car voyez-vous, ce qui fait notre succès sur le marché, c'est que nous allons nous-même chercher la commande du client et que nous la lui livrons. Pas comme la plupart de nos concurrents qui se contentent d'envoyer quelqu'un faire le boulot, quelqu'un qui risque de tout faire de travers! On n'est jamais mieux servis que par soi-même, surtout en affaires.
Dès le lendemain, Nourph et moi écumâmes les tavernes de Gräk Burïm, à la recherche d'aventuriers réputés qui pourraient nous servir de gardes du corps durant notre épopée. Nous avions décidé de partir sans tarder, compte tenu de la somme colossale que notre client avait mis dans la balance la veille au soir. C'est alors qu'entrant à « L'Elfe Gourmet », auberge d'excellente réputation, à la recherche d'équipiers de qualité à qui proposer un partenariat profitable, nous recontrâmes le Sieur Rocor et ses compagnons, dont les exploits étaient chantés par tous les ménestrels de...
-Il suffit Flïn! Je le savais, vous commencez à déformer les choses! Vous avez raconté ce qui c'était produit avant notre rencontre, très bien. Pour la suite, je devrais pouvoir me débrouiller. Nos amis méritent un récit authentique, et je vois bien que vous allez leur servir des fadaises.
Le gnôme prit une inspiration, s'apprêtant visiblement à protester, mais le regard furieux de Rocor l'en dissuada. Le nain se lança alors dans la suite du récit.
Récemment chassé de la garde du roi de la montagne et condamné à l'exil pour avoir été surpris dans la chambre de la fille dudit roi, attendant la belle dans le plus simple appareil, le général Rocor, accompagné de ses deux meilleurs amis, chassait ses idées noires à l'aide d'un tonneau de bière fraîche, dans un bouge crasseux de Gräk Burïm. Il lui fallait quitter le royaume au plus vite, mais il ne savait vers où se diriger. Prêtant l'oreille aux conversations alentours tout en se livrant à ses libations, il repéra les voix aigües de deux gnomes qui se lamentaient de ne parvenir à mettre la main sur quelques valeureux guerriers pour les accompagner sur les routes. Il sourit, car il connaissait les causes de leur échec: la réputation de pingrerie de Flïn et Nourph était si bien ancrée dans la ville que personne ne se risquerait à accepter un travail de leur part, à moins de se trouver sur la corde raide. Mais n'était-ce pas son cas? S'excusant mentalement d'avance auprès d'Horïm et de Ragir, il héla les marchands.
- Dites les gars, z'avez bien dit qu'il vous fallait des gardes du corps non? Venez donc à notre table! P't'être allons nous pouvoir arranger ça.
Les gnomes se regardèrent un instant d'un air dégouté, puis soupirèrent de concert avant d'accepter l'invitation du nain à l'élocution rendue laborieuse par la quantité d'alcool qui courait dans ses veines. Lorsqu'ils furent installés, Flïn engagea la conversation:
- Et bien, il se trouve qu'en effet nous aurions besoin d'aventuriers fort courageux, et habiles de surcroît, pour entreprendre un périple dans une contrée fort lointaine. Ceux-ci auraient pour tâche de nous aider à repousser les bandits et les bêtes sauvages qui pullulent sur les routes... Malheureusement, il semblerait que tous les professionnels soient actuellement occupés ailleurs.
- J'pense alors que nous pourrions 'ventuell'ment faire affaire ensemble, si mes compagnons n'y voient pas d'incm...d'ingv... de problème.
Lesquels compagnons, dans un état second, ne purent qu'acquiescer mollement de la tête. Les gnomes se jetèrent quelques coups d'oeil, tandis que leurs mains esquissaient des signes rapides sous la table, puis Flïn reprit:
- Et bien oui, pourquoi pas, j'ai justement sur moi un petit contrat... Nous vous fourniront bien entendu le gîte et le couvert pendant le voyage, et un salaire assez substantiel. Si vous vouliez bien apposer votre signature ici...
Il tendit à Rocor une plume et un morceau de parchemin que Nourph venait de sortir d'une besace. Le nain trop soûl pour voir les lignes fit semblant de lire attentivement le texte, puis se saisit de la plume et griffona son nom, ainsi que ceux d'Horïm et de Ragir, à l'endroit que Flïn lui désignait.
- Et bien messieurs, voilà qui est parfait. Nous viendrons donc vous chercher demain matin.
Il s'en allèrent prestement, laissant les nains à leur beuverie.
Le lendemain, des coups frappés à la porte de la chambre qu'ils partageaient réveillèrent les trois compères. Conséquence de leurs activités nocturnes, il leur semblait qu'on martelait leurs crânes au même rythme que la porte.
- Qu'est-ce qu'il y a? Vous allez cesser ce raffut oui?
- Comment? -hurla une voix perçante qui leur vrilla les tympans- Vous n'êtes pas encore prêts? Je vous ai pourtant bien spécifié hier que nous partions à l'aube! Dépêchez-vous donc!
- Quoi?-rugit Rocor- A l'aube? Vous aviez dit « demain matin », vous n'avez jamais parlé de l'aube!
- Lorsque le soleil se lève, c'est le matin, tout le monde sait cela. Maintenant cessez de discuter et préparez-vous en vitesse, nous vous attendons dehors.
Horïm et Ragir jetèrent un regard surpris à Rocor, qui leur expliqua le marché passé la veille, pendant qu'ils enfilaient leurs vêtements et empaquetaient leurs affaires. Ils furent loin de se montrer enchantés, mais reconnurent qu'ils tenaient là une bonne occasion de se faire oublier. Lorsqu'il sortirent de l'auberge, ils trouvèrent les deux gnômes, juchés sur une charrette pleine de bagage, tractée par un âne. Aparemment, eux-mêmes étaient censés aller à pied. Ils tentèrent bien de protester, mais les gnômes leur mirent sous le nez le contrat signé la veille. Les trois nains pâlirent. Rocor regretta soudain de ne pas avoir été en état de lire le texte... Le fameux couvert qui leur était fourni se composait de rations de voyage et d'eau claire, le gîte, de paillasses autour d'un feu à côté de la tente des gnômes lors de bivouacs en pleines nature, le salaire, d'une bourse d'or qui ne leur suffirait même pas pour couvrir un mois d'inactivité. Et par-dessus tout, ils se voyaient condamnés à ne pas boire la moindre goutte d'alcool tant qu'ils n'auraient pas récupéré ce qu'ils allaient chercher. Ce fut en maugréant et en traînant des pieds qu'ils se mirent en route, mais leur bonhommie naturelle finit par leur revenir peu à peu à mesure que s'estompait leur gueule de bois. Le voyage sur les routes fut long et monotone. Leurs haches venaient facilement à bout des quelques malfrats pouilleux qui les assaillaient de temps à autre. Le bruit qu'ils faisaient en se déplaçant suffisait à effrayer la plupart des animaux sauvages. La nuit, ils montaient le campement, préparaient le repas puis montaient la garde à tour de rôle. Et pendant tout ce temps, leurs employeurs ne faisaient rien, sinon discuter entre eux de tractations commerciales, et guider l'expédition à partir d'une vieille carte sur laquelle ils semblaient se reposer entièrement et dont il refusèrent de dévoiler la provenance. Ils traversaient rapidement les villes, ne s'arrêtant que pour reconstituer leur réserve d'eau et de nourriture. Enfin, la petite troupe atteignit l'endroit où elle devait quitter les sentiers battus pour s'enfoncer dans une vaste forêt. Et les nains se retrouvèrent chargés de porter les bagages des gnômes en plus des leurs, suite à l'abandon de la charrette. Leurs protestations se heurtèrent de nouveau au contenu du contrat, et Flïn leur fit remarquer qu'il aurait également pu vendre l'âne, ce qui leur aurait fait encore plus de poid à transporter. La mort dans l'âme, ils s'engagèrent dans la forêt, pour trois longs jours de marche forcée jusqu'à leur destination.
Il faisait nuit lorsqu'ils atteignirent le mausolée en ruine. L'édifice se tenait au milieu d'une clairière, comme si les arbres eux-mêmes avaient jugé plus sage de maintenir une distance de sécurité. Ils installèrent le camp, et, sans savoir pourquoi, discutèrent à voix basse.
- Qu'est-ce que nos deux fêlés de patrons peuvent bien venir chercher ici? -demanda Ragir-
- Je ne sais pas, mais je pense que nous allons bientôt le découvrir, car je gage qu'ils comptent sur nous pour y aller.
- Allons les gars, ça ne peut pas être si terrible, sinon ces deux poltrons ne se seraient jamais déplacés en personne.
- Toi Rocor, tu n'as jamais peur de rien de toute façon. Mais si nous venons pour nous emparer d'un trésor, je propose que nous l'empochions avant de planter les tyrans ici!
- Comment? Et le respect de la parole donnée, qu'est-ce que tu en fait Horïm?
- La parole que TU as donnée nom d'un chien! Déjà, c'est à cause de toi que nous avons dû partir...
- Minute, je ne vous avait pas demandé de me suivre quand je suis parti! Et puis, qui culbutait les femmes de chambre afin qu'elles ne viennent pas nous déranger, la fille du Roi et moi?
Les trois nains se regardèrent, puis éclatèrent d'un rire qui détendit l'atmosphère, malgré les protestations énergiques de Nourph qui semblait-il désirait dormir. Une fois le jour levé, les gnomes se décidèrent enfin à expliquer à leurs « employés » ce qu'ils étaient venus faire.
- Un livre!!! On a fait tout ce chemin pour un satané bouquin! Et il faut aller le chercher chez un mage mort en plus? C'est une blague!?
- Pas du tout messieurs, pas du tout, nous sommes on ne peut plus sérieux. Cela n'a rien de compliqué, il suffit d'entrer, de trouver la bibliothèque, d'ouvrir la cache secrète comme écrit au dos de notre carte, puis de repartir. Je ne vois pas ce qui pourrais nous poser le moindre problème. Et si tout se passe bien, nous vous offrons une nuit dans la meilleure auberge de la ville la plus proche! Bien sûr, nous y resterons plus longtemps que ça, puisque c'est là que nous attendrons notre client, mais vous vous débrouillerez pour payer le reste, nous ne faisons pas la charité. Bon, assez tergiversé, allons-y!
Sur quoi les marchands se dirigèrent d'un bon pas vers le sinistre bâtiment, balançant négligemment leurs besaces. Les nains, encore quelque peu hébétés, suivirent. Quelque chose leur disait que tout ne se passerait pas comme prévu... Impression qui fut confirmée lorsque le sol se déroba sous leur pieds, et qu'ils glissèrent sur une pente de terre pour atterrir rudement dans une sombre caverne.
- Alors ça c'est malin! - Aïe mon dos! - Vire ton pied de ma figure toi! - Vous n'avez même pas été capable de repérer ce piège! Mais pourquoi est-ce que l'on vous paie? - Surement pas pour supporter les jérémiades de deux tyrans miniatures! - SILENCE!
Tous se turent sur cette injonction de Rocor.
- Maintenant on se relève, on voit où l'on est et on agit. Horïm, Ragir, en formation autour de ces deux « messieurs ». Et surtout, pas un mot! Rocor avait utilisé une voix de commandement... Les deux nains obéirent promptement.
Ils se trouvaient dans une grande pièce souterraine, dont le plafond était soutenu par de massifs piliers de pierre. Ils était apparemment tombés non dans un piège, mais dans un tunnel creusé par quelqu'un qui avait été fort désireux d'entrer ici... Mais qui avait regretté son geste par la suite, comme le démontrait le squelette appuyé contre le pilier le plus proche. Ils se mirent en marche dans la direction supposée de l'ancienne demeure du mage Dem, attentifs au moindre son, au moindre mouvement dans les ombres... mais rien ne les avait préparé à une attaque provenant d'en haut. Une dizaine de créatures étranges, sortes de lutins ailés contrefaits d'un mètre de haut, leurs tombèrent dessus sans crier gare, de courtes épées à la main. Ils les encerclèrent rapidement, et l'un deux s'adressa à la troupe d'une voix rauque.
- Halte-là, qui etes-vous? Que venez-vous faire ici?
- Qui nous le demande? -répondit Rocor-
- Ce n'est pas à vous de poser des questions. Mais sachez que nous sommes les gardiens de ces lieux, et que nous vous tuerons sans hésitations si vous refusez de vous identifier.
- Bien que je ne doute pas que nos haches nous permettraient aisément de nous frayer un chemin où bon nous semble, je vais tout de même vous répondre: nous avons chût dans un trou bêtement creusé dans le sol alors que nous nous rendions dans l'ancienne habitation du mage Dem pour nous procurer certain ouvrage qui nous intéresse.
- Et bien réjouissez-vous, car vous vous trouvez justement dans l'édifice que vous vouliez rejoindre. Mais ne commettez pas l'erreur de nous sous-estimer, vous regretteriez amèrement tout geste inconsidéré... Si vous aviez été une créature démoniaque, le bouclier qui entoure la clairière vous aurait arrêté... Je dois en conclure que vous êtes de vulgaires voleurs non-affiliés aux ténèbres... Je n'ai donc point besoin de vous tuer. Si vous allez chercher le Livre, vous mourrez à coup sûr.
- Comment cela? Et pourquoi prononcez-vous « le Livre » avec tant d'emphase, comme s'il s'agissait d'une relique sacrée?
- C'est très simple, notre rôle est d'éliminer les démons qui réussiraient à passer le bouclier, ou bien, le cas échéant, de prévenir les idiots qui viennent ici du danger qu'ils encourrent en approchant le Livre. Et si j'en parle ainsi, c'est parce qu'il n'est point fait pour les mortels. Il recèle une puissance que vous ne pouvez imaginer, et il ne se laissera jamais emmener par quelqu'un qui ne le mérite pas. Si vous voulez vraiment persister sur cette voie, continuez jusqu'à l'escalier, au fond. Il vous mènera directement à la bibliothèque. Pour ressortir, il vous suffira de monter encore un étage pour arriver au vestibule. Je vous conseillerais de filer directement vers la sortie... car si vous entrez dans la bibliothèque, je doute que vous en ressortiez. Enfin, faites comme il vous plaira.
Les créatures s'envolèrent alors de concert et disparurent rapidement dans les ombres.
- Qu'est-ce qu'on fait?
- On va chercher le livre bien entendu! Ne vous inquiétez donc pas tant, il ne représente aucun danger! Nous savons comment le neutraliser. Peut-être son gardien vous causera-t-il quelque ennuis, mais je suis sûr que vous en viendrez à bout.
- Minute! Comment ça le gardien? Et qu'est-ce que vous entendez par neutraliser le livre? Il y a encore beaucoup de détails que vous nous avez caché comme ça?
- Nous vous disons ce que vous avez besoin de savoir quand vous avez besoin de le savoir, voilà tout. Cessez de discuter, en route!
Ils suivirent les indications des lutins volants, et parvinrent sans encombre à la bibliothèque. Là, les gnomes les conduisirent jusqu'à un cercle de runes gravé sur le sol.
- Allez, tous dans le cercle! Nous allons mettre la main sur cet ouvrage en un tour de main!
Les nains s'entre-regardèrent, inquiets, puis s'exécutèrent. Après tout, leurs employeurs semblaient mieux renseignés qu'eux. Mais ils restaient chagrinés par ces histoires de gardiens et de livres capables de se défendre. En tant que soldats, on leur avait appris à se méfier de la magie, de ceux qui la pratiquaient, et de tout objet entré en contact avec elle. Flïn sortit de sa besace un petit objet, une pierre gravée semblait-il. Il la posa au sol et récita une courte incantation, dans une langue inconnue des nains. Alors, le monde changea autour d'eux...
Ils se trouvaient en plein milieu d'un désert. Une chaleur écrasante s'abbatit immédiatement sur le petit groupe. Le reflet de la lumière sur le sable blanc les aveugla quelques instants.
- Mais... où sommes-nous? -demanda Ragir-
- Ne vous inquiétez pas, tout ceci est parfaitement normal. A présent, montez la garde pendant que nous nous occupons de rendre le livre innofensif.
- Vous voulez dire que c'est le livre qui nous a envoyé là?
- Pour simplifier, on peut dire ça ainsi. En réalité, ce décor autour de nous n'existe pas. Mais ce n'est pas vraiment une illusion... si on vous y tue, vous mourrez. Alors cessez de poser des questions inutiles et faites attention à ce qui se passe autour de vous. Nourph, mettons-nous au travail! Heureusement que ce vieil homme était bien documenté sur l'objet qu'il désire tant...
Sans plus s'occuper de leurs gardes du corps, les gnômes sortirent divers objets de leurs sacs, et commencèrent une sorte de rituel. Le nains se placèrent autour d'eux, inquiets quand au gardiens qui pourrait leur être envoyé. D'autant que ce terrain n'était pas vraiment à leur avantage. Ce fut Horïm qui donna l'alerte le premier: il lui avait semblé voir le sable remuer de bien étrange façon... En effet, lorsque Ragir et Rocor y prirent également garde, ils s'aperçurent que tout autour, quelque chose dessinait de grands « S » mouvants sur le sol... qui se dirigeaient doucement vers eux... Ils jurèrent copieusement et empoignèrent leurs haches, prêts à les abattre sur tout soulèvement de sable intempestif qui s'approcherait un peu trop. Avant que cela n'arrive, les créatures responsables du mouvement se montrèrent. Les têtes d'une dizaine de serpents démesurés aux écailles d'or émergèrent du sol, leurs yeux vicieux braqués sur ceux qu'ils considéraient déjà comme leur futur repas. Ils accélérèrent. Les nains brandirent leurs armes tandis que les marchands continuaient leurs simagrées sans même se rendre compte de ce qui se passait. Le temps de quelques battements de coeur, et ce fut le contact. Rocor trancha la tête du premier reptile qui, s'étant trop précipité, avait tenté de mordre Ragir. Mais déjà les autres monstres fondaient sur eux; Ce ne fut plus alors que cris, sang et furie guerrière. Une tragédie se jouait qui n'avait d'autre témoin que l'immensité silencieuse du désert. Soudain, tout disparut..
Ils se trouvaient dans une petite pièce carrée aux murs de pierres grises. Sous leur pieds, ils pouvaient voir un cercle de runes gravées identique à celui qui les avait conduit ici. Et en face d'eux, posé sur un lutrin d'ébène, gisait le Livre. Il irradiat de mauvaises intentions, et les nains se sentaient oppressés par les miasmes de malveillance qui emplissaient les lieux. Mais les deux marchands ne semblaient pas le moins du monde affectés. Bousculant leurs gardes du corps ébahis, ils saisirent l'objet, l'emballèrent soigneusement dans une peau tannée et le rangèrent dans leur besace; Flïn se frottait les mains.
- Et bien voilà encore une affaire rudement menée. Nous allons même être en avance sur la date prévue; il nous faudra vivre quelques temps à l'auberge.
- Mais... le désert... les serpents...
- Nous vous l'avons dit nous, Aucune réalité. Dès que nous avons bridé le pouvoir du livre, pfuiiiit. Une simple formalité. A quoi vous attendiez-vous? A de hauts faits, des combats épiques, des sortilèges anciens tapis dans tous les coins? Non non non, il ne s'agissait là que de récupérer une commande. Merci quand même de nous avoir obtenu le temps nécessaire à la réalisation du rituel.Maintenant rentrons avant que les créatures contrefaites qui nous ont accueillies en ces lieux se rendent compte que nous ne sommes pas aussi morts qu'ils l'avaient escompté...
- Nous nous repartons tout simplement, comme ça?
- Et bien, je ne vous empêcherais pas de rester là si vous le voulez, mais personnellement je préfère vider les lieux. Faites comme bon vous semble.
Le trajet jusqu'à la ville la plus proche fut ridiculement simple. Les gnômes, l'air hautement satisfaits d'eux-mêmes, se montrèrent bien plus sympathique qu'à l'aller. Mais les trois nains ne pouvaient s'empêcher de leur jeter des regards courroucés, taraudés par une impression de tâche inachevée... Impression qui ne les a toujours pas quitttés, bien qu'ils aient retrouvé de leur jovialité après quelques jours à l'auberge de « La croisée des chemins »...
- Et voilà, cette histoire est terminée mes bons amis.
Cette phrase de Rocor nous sortit tous de la torpeur dans laquelle le récit semblait nous avoir plongé.
- Bien sûr, je suis passé rapidement sur certains détails inutiles, mais vous savez maintenant ce que nous faisons ici: nous attendons le client de ces deux marchands insupportables.
- Donc ce Livre est toujours ici?
- Oui ma dame, mais personne n'y jettera le moindre coup d'oeil avant notre commanditaire, foi de gnôme!
- Et bien, et bien... la journée est bien avancée... Si nous mangions avant que le conteur n'arrive? Nous aurons tout le temps ensuite de revenir sur les implications de cette aventure, vous ne pensez pas?
- Excellente idée messire Lorelyn!
Nous hêlâmes le tavernier afin de commander notre repas, pendant lequel nous commentâmes allègrement ce que nous venions d'entendre. Je souriais intérieurement...
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