Forum Heroes' Chronicles

Shandra d'Eltherith Andarian

elfe équilibre


Chapitre 1 : le retour en Lorndor


Un soleil timide monte sur l'horizon, accrochant des étoiles de lumière dans les perles de rosée qui frangent les longues herbes immobiles. Il n'y a pas un souffle de vent, pas un chant d'oiseau pour saluer la nouvelle aurore. Les plaines voilées de brume ont une apparence sereine et enchanteresse... mais ce calme est trompeur. Seuls les sots ou les inexpérimentés se laisseraient abuser. Et cette imprudence leur coûterait la vie.

Nul bruit n'a annoncé sa venue. Comme surgie du néant, une silhouette élancée émerge du brouillard tenace en longues enjambées souples, si lègère qu'un observateur penserait qu'il ne s'agit que d'un fantôme, d'une illusion provoquée par les remous des brumes ondoyantes. L'ourlet de sa longue cape noire caresse la bruyère humide tel un souffle. Les pâles rayons du matin font luire sinistrement la garde argentée des sabres jumeaux sanglés dans son dos.

Le même silence pèse toujours sur les champs de bataille, lourd, étouffant... L'inconnu a marqué un arrêt et se tient au bord d'une mare, dans une immobilité de statue, son regard - invisible sous le bord du capuchon - baissé sur son mélancolique reflet. Aucun son, aucun craquement... pourtant, l'être mystérieux retient son souffle. Il attend.

Et, sans que rien ne l'ait laissé prévoir, le sifflement d'une flèche qui fend les airs, décochée avec la puissance et la précision mortelle que seuls possèdent les carreaux d'arbalète. Mais sa cible s'est dérobée. Le trait se perd dans l'eau grasse, provoquant une débandade de grenouilles. Se redressant sur un coude, l'inconnu évalue la position de son agresseur d'après l'angle de tir. Un mouvement agite une touffe de joncs desséchés sur une butte, à une trentaine de mètres de là.

Un nouveau carreau ne le rate que de justesse. Ce tireur encoche très vite... vraiment très très vite. Le rôdeur ne pourra lui échapper bien longtemps, et il le sait. D'un bond, il se redresse. La troisième flèche ne se fait pas attendre. Mais une main finement gantée s'est levée. Le trait s'embrase en plein vol. Le sortilège consume instantanément la hampe de bois dont les cendres se dispersent au vent, et seule la pointe de métal rébondit sur le sol boueux, jusqu'à venir heurter une des bottes de sa cible.

L'agresseur vient de comprendre qu'il n'avait pas affaire à un simple vagabond. Vif comme l'éclair, il prend la fuite. Un banc de brume dense stagne non loin. S'il l'atteint, il sera sauvé.

Cependant, la proie s'est muée en chasseur : l'inconnu n'a eu qu'à se baisser pour saisir le poignard glissé dans une de ses bottes. Le geste est net, précis. Se jouant de la distance, la lame luisante est venue se planter en tournoyant entre les omoplates de l'arbalétrier qui s'est effondré comme une masse. Un rien plus appuyé, et le coup aurait été fatal.

Tandis que le rôdeur s'approche d'un pas tranquille, le blessé parvient à se relever, titubant, un sang noir aux lèvres. Son regard mort, d'un blanc laiteux, scintille de rage. L'undead met l'épée au clair avec un vilain rictus : ce simulacre de vie qui le maintient sur pied, il le défendra chèrement. Son adversaire l'imite froidement.


Ce voile d'impassibilité se déchire bientôt : le mort-vivant recule devant les attaques de son ennemi. Que faire face à ces feintes, ces parades tournoyantes, ces enchaînements d'une complexité et d'une précision effarantes ? La longue lame élégante du sabre noir damasquiné d'or s'abat à une vitesse telle qu'elle en devient invisible... L'undead se défend, pourtant : il a traversé de nombreuses batailles, toujours victorieux. La rage de son adversaire le déroute, lui fait monter à la gorge un sentiment étrange : la peur. C'est comme s'il se trouvait au bord d'un abîme de ténèbres, et que quelque chose de terrible montait, montait dans un bruit de tonnerre... Quelque chose qu'il désirait voir, tant l'ignorance et l'attente étaient insupportables, mais qu'en même temps il redoutait de voir apparaître en pleine lumière. C'était inexplicable.

Le guerrier réussit à se reprendre et profite d'une faille dans le jeu de son ennemi pour placer un revers d'épée. Le rôdeur se rejette en arrière, évitant de justesse la lame qui lui effleure la gorge. Dans le mouvement, son capuchon glisse sur ses épaules. L'undead marque une brève indécision, surpris par la nature de son adversaire. Une longue chevelure ébène flotte dans la brise, encadrant un fin visage d'une pâleur mate où brillent deux yeux couleur d'or à l'éclat meurtrier. Aucun doute possible, il s'agit-là d'une elfe.

L'hésitation du mort-vivant est de courte durée : cette constation le pousse à l'assaut avec une frénésie nouvelle. Les coups s'échangent de part et d'autre, sans trève, mais sans résultat non plus. Les belligérants changent alors de tactique : ils tournent l'un autour de l'autre, lentement, guettant le moindre faux-pas qui marquera la fin du combat.

Au loin, le mugissement sourd d'une corne. Le soleil est à présent haut dans le ciel, le brouillard commence à s'évanouir... la bataille va bientôt reprendre.

L'elfe a légèrement tourné la tête à cet appel. Saisissant l'occasion, son ennemi bondit, l'arme haute. Le sabre s'interpose au dernier moment dans un jaillissement d'étincelles bleutées. Il est temps d'en finir...

De sa main libre, la jeune combattante dégaine sa deuxième lame. Avec un hoquet, l'undead crispe ses mains squelettiques sur sa poitrine d'où sourdent des flots de liquide sombre. Il trébuche, puis s'affaisse au sol.

La tueuse s'agenouille à ses côtés, toute trace de haine disparue de son visage à la beauté cruelle, douloureuse. Penchée sur l'agonisant, elle murmure quelques mots d'un ton pressant. Les yeux blancs du mort-vivant s'agrandissent.
- Tu le sais ! Tu sais de qui je parle ! s'exclame l'elfe avec une brusque montée de colère face à son silence. Dis-moi où ils sont !

Sa voix se brise tandis qu'elle secoue le mourant dont les lèvres s'étirent en un sourire triomphant : son silence sera sa vengeance. Son ricanement sardonique s'étrangle soudain, puis son corps se détend. L'elfe relâche le cadavre avec un cri de rage et de souffrance.

Elle n'avait jamais été si proche de son but... et il lui faudrait continuer à chercher, chercher encore...

Le tambour des pas cadencés et le froissement métallique des armures lui parviennent. Les armées approchent.

Celle qu'on ne connaissait que sous le nom de Shandra se redressa. Dans un grand envol de cape, elle plongea dans la brume qui flottait encore dans le vallon et disparut.

Une nouvelle journée de rage et de sang allait commencer sur les plaines de Lorndor...

Chapitre 2 : clOne


Du feu, du feu... les flammes qui jettent de vastes éclaboussures sanglantes sur les flèches de nacre du palais... les lourds tourbillons de fumée qui montent vers le ciel, obscurcissant les étoiles... les cris... le feu...
Shandra ouvre brusquement les yeux, la bouche sèche, le souffle court. La vue des branches du chêne au-dessus d'elle la fait se détendre : encore ce terrible cauchemar... Les lèvres de l'elfe s'étirent en un sourire sans joie. Un cauchemar ? Oui, si seulement cela pouvait en être un, si seulement... C'est toujours la même chose : la moindre utilisation de ses pouvoirs magiques la vide de ses forces et la jette au sol, fiévreuse et épuisée, l'esprit assailli d'horribles images.

A quelques pas de là, ses compagnons d'arme devisent à mi-voix, assis en cercle autour d'une bonne flambée. L'éclat du foyer projette des ombres dansantes dans la clairière, sans souci de discrétion. Sur la zone-frontière entre le royaume des elfes et celui des hommes, le danger est minime. Le clan savoure ce bref instant de répit avec la plénitude de ceux qui savent que l'aurore prochaine sera peut-être la dernière. Les elfes avaient chanté, et les hommes s'étaient tus, les yeux fermés. Même la brise avait cessé. Pendant quelques instants merveilleux, la forêt avait retenu sa respiration.


Shandra n'avait pas eu le coeur de se joindre à eux en dépit de leurs appels.

Elle s'était réfugiée à l'écart pour échapper au regard trop clairvoyant du chef. Une lueur de tristesse scintillait au fond des grands yeux verts d'Eltharion. Etait-il possible qu'il ait compris, qu'il ait deviné ? Eltharion...

Les paupières closes, la jeune elfe renverse la tête en arrière.

Comment aurait-elle pu s'en douter ? Tout avait commencé à peine une semaine auparavant...

Adossée à un des piliers de la taverne enfumée par les vapeurs odorantes des pipes, dans un coin sombre d'où elle pouvait tout observer sans être dérangée, elle dévisageait les buveurs, tendait l'oreille pour saisir au vol quelques bribes de conversations, souriant même à certaines plaisanteries douteuses lancées par des voix mal assurées. Elle-même n'avait pas de quoi se payer un verre, mais voir les autres le faire lui suffisait. Un obscur besoin de chaleur humaine lui avait fait pousser la porte à travers laquelle filtraient des rires sonores...
- Je peux t'offrir quelque chose ?

Shandra avait tressailli, tirée de ses pensées. D'un rapide coup d'oeil, elle avait jaugé l'homme qui se tenait devant elle. La démarche ferme des guerriers, le regard brillant des magiciens... un équilibré. Il avait une choppe à la main, mais la vivacité de son expression indiquait qu'il n'avait pas l'esprit embrumé par l'alcool, contrairement à certains clients.

L'elfe avait secoué la tête, sans rien faire pour avoir l'air plus engageante. Le léger sourire en coin de son vis-à-vis la mettait sur ses gardes. Il l'avait fixée en silence quelques instants, avant de lâcher d'un ton neutre, comme parlant de la pluie et du beau temps :
- Le décorum de cette auberge laisse un peu à désirer... Surtout l'undead qui gît derrière les tonneaux alignés le long du mur, dehors. Ca, ça fait pas terrible.
Une colère contenue avait vibré dans la voix de Shandra :
- Tu as quelque chose contre ?
- Non, non. Je dirais même que le principe me plaît beaucoup.
- Je l'aurais laissé tranquille s'il ne m'avait pas attaquée le premier.
- Oui, j'ai vu.
Puis, de but en blanc :
- Nous sommes quelques compagnons d'arme, peu nombreux, mais cela s'arrangera avec le temps. Que dirais-tu de nous rejoindre ?
L'elfe s'y attendait, pourtant la proposition l'avait prise au dépourvu.
- Je ne sais...

Hugues avait insisté avec tant d'opiniâtreté, vanté son clan avec tant de chaleur, qu'elle avait fini par hocher la tête. Si elle avait su...

Ce n'est que le lendemain qu'elle rencontra son nouveau chef, un elfe de haute taille. Une fois sortis de l'adolescence, les elfes changent peu. Elle n'eut aucun mal à le reconnaître : autrefois, avec quelle fierté il portait son uniforme d'oficier de la garde... La vie d'errance avait infimement creusé ses traits, sans parvenir à lui ôter son allure.

Lui avait souri en silence. Rien dans son attitude n'indiquait qu'il ait percé son identité à jour. Shandra, elle, avait changé...

Un éclat de rire la ramène au présent. Un des hommes est en train de singer un tauren complètement ivre qui est passé à côté d'eux vers midi sans même les remarquer. Trop amusés, ils l'ont laissé partir sans intervenir. Les taurens ont une constitution de roc. Ce n'était pas souvent qu'on pouvait en voir un dans cet état.

Shandra se lève. La lumière du feu la rend malade. Elle n'aspire qu'au calme et à l'obscurité. Trop de pensées se bousculent dans sa tête.
- Où vas-tu ? questionne l'unique sentinelle.
Arkhantos a l'allure rusée et mâtine d'un renard. Un elfe qui les a rejoints en route. Un peu chafoin, un peu voleur, sans doute, mais fiable. Une bonne recrue. Pour l'heure, le combat semble lui manquer, et il n'a posé sa question que par pure forme, avec une nuance indolente d'ennui.
- Pas loin. J'ai besoin de marcher un peu.
- Comme tu veux, bâille l'elfe.

Shandra s'éloigne sur une sente tracée par quelque bête sauvage. Le clan compte si peu de membres qu'il y a rarement plus d'un veilleur pour surveiller le camp, la nuit, même sur les champs de bataille. Il lui a été facile de s'éclipser bien des fois. Nul ne semble avoir remarqué ses absences fréquentes. Que penseraient-ils s'ils la voyaient rentrer au petit matin, haletante après une longue course, les mains écarlates, et sans réponses à ses questions ? Traîtrise ? Possible.

Le chef aurait compris. Mais elle ne lui dirait rien. Certains se portaient mieux en oubliant le passé.

Le passé... L'elfe s'arrête au sommet d'une petite colline. Elle est à l'orée de la forêt, et les champs de bataille s'étendent jusqu'à l'horizon. Cà et là, les points brillants des feux de halte scintillent faiblement.

Oui, le passé. Elle n'a pas besoin de fermer les yeux pour voir ses souvenirs se dérouler devant elle, dans l'éclat fugace d'un petit matin d'un autre temps, en d'autres lieux...

Chapitre 3 : assassins



De fins pinceaux de lumière dorée perçent les épaisses frondaisons des chênes moussus, sans parvenir à dissiper une impression tenace d'étouffement. Ces arbres sont vieux, très vieux... tordus, barbus, ils ont l'apparence de vieillards voûtés. Et peut-être en ont-ils les yeux. Il ne faut pas un grand effort d'imagination pour sentir le poids de mille regards invisibles... Tout est calme. Pas un bruit. Pas un mouvement. Si, pourtant : une touffe de fougères s'agite, puis un murmure impatienté s'élève :
- J'en ai assez ! Ca fait des heures que nous attendons, et toutjours r...
- Shandra ! coupe brusquement une voix rauque, masculine.

L'homme fixe avec dureté la jeune elfe allongée à côté de lui dans une dépression entre deux énormes racines noueuses. D'après sa taille, elle n'a pas plus de treize ans, mais ses mains manient avec assurance une lourde arbalète. A demi redressée sur un coude, elle se mord les lèvres.
- Je me demande bien pourquoi je m'acharne à vouloir t'enseigner ce que je sais. Indisciplinée ! Incapable de la moindre patience ! Jamais concentrée !
Le ton plus que les mots fait baisser la tête à Shandra. Il exprime tant de déception, mêlée à la colère...
- J'essaye, pourtant, parvient-elle à balbutier, les doigts crispés sur l'arbrier.
- On ne dirait pas !

Les traits burinés d'Alaren s'adoucissent aussi vite que passe son exaspération : l'elfe s'est roidie, les paupières baissées, le visage légèrement détourné. A la voir, nul autre que son père adoptif ne pourrait deviner qu'elle est à deux doigts de fondre en larmes. L'homme se maudit intérieurement d'avoir été aussi rude. Il n'y connaît pas grand chose aux enfants, et encore moins aux enfants elfes.

Avec une tendresse maladroite, il lui relève le menton.
- Shan, regarde-moi.
Elle obéit, dévoilant des yeux dont l'habituelle teinte d'or se nuance de bleu profond sous la montée des sanglots.
- Shan, Shan, je suis désolé, vraiment désolé. Je n'aurais pas dû m'énerver ainsi. Je sais que tu fais des efforts. J'ai eu une mauvaise nuit.
La jeune elfe opine faiblement.
Alaren lui ébouriffe les cheveux. Elle déteste ça, et il il le sait parfaitement. La réaction ne se fait pas attendre :
- Eh ! Arrête ! proteste-t-elle avec un clair éclat de rire.

Un craquement de branche sèche les fait se rallonger sur le sol, silencieux. Avec d'infinies précautions, l'elfe écarte les tiges de fougères devant elle pour plonger son regard dans un vallon où stagne une mare.

Un cerf se tient là. Sa fourrure rase possède encore les reflets argentés de l'hiver dans les montagnes. L'animal est méfiant. Les feuilles mortes craquent sous ses sabots tandis qu'il piétine sur place, indécis. Mais cette mare est la seule à des milles à la ronde... Cédant à la soif, il baisse la tête vers l'eau brunâtre.

Lentement, Shandra ajuste la bête dans sa ligne de tir, l'oeil vrillé le long du fût. Dans un chuchotis si bas que même l'ouïe fine du cerf ne peux le percevoir, Alaren prodigue quelques conseils sa protégée, tout en rectifiant la position de ses mains.
- Inutile de serrer trop fort. Evite aussi d'appuyer l'arbrier sur cette racine : mieux vaut le soutenir un peu surélevé avec la main, le poignet posé à plat sur le sol. Tu amortiras mieux la détente de l'arc. La moindre vibration peut dévier le carreau de plusieurs mètres...

Le pouce de l'elfe effleure le levier qui retient la corde tendue à l'extrême. La plus infime pression, et la flèche part... Shandra retient son souffle. Là, c'est le bon moment...

A l'instant précis où elle libère l'arc, Alaren lui envoie un malicieux coup de coude. Le carreau part de travers et va se planter dans un tronc très loin de sa cible.
Déjà, le cerf prend la fuite.

Avec une exclamation rageuse, Shandra bondit sur ses pieds. D'un seul geste coulé, elle encoche une des flèches du carquois attaché le long de sa hanche. La corde chante clair, et vibre encore lorsque l'animal s'effondre, foudroyé. Oubliant de se réjouir, l'elfe se retourne vers son mentor, furieuse.
- Mais pourquoi tu as fait ça ? J'ai failli le rater !
- Et tu ne l'as pas raté, finalement, rétorque un Alaren extrêmement satisfait. Toucher une proie immobile, c'est bien, mais en abattre une en mouvement, c'est bien autre chose.
Son interlocutrice secoue la tête avec incompéhension.
- A quoi ça sert ? Toi, quand tu tues quelqu'un parce qu'on t'a payé pour le faire, tu t'arranges pour le surprendre, non ?
L'homme fronce les sourcils.
- Quand on tue pour vivre, il faut savoir s'adapter. C'est la clef qui m'a permis de survivre jusqu'ici. Mais tu n'as pas besoin de savoir cela. De toute façon, je suis las de ce genre de vie. J'ai envie de me ranger, pour pouvoir te voir grandir, Shan.
Considérant la conversation comme close, il entreprend de descendre les pentes grasses du vallon jusqu'au cerf. Dans son dos, l'elfe le considère, songeuse. Alaren rangé ? Alaren commerçant du gibier ?
Cela ne lui ressemblait pas. Et, par les temps qui couraient, rares étaient ceux qui avaient seulement de quoi se payer une auberge... Les assassins étaient mieux payés que les chasseurs...

***

Il fait une nuit d'encre lorsque Shandra se laisse tomber en souplesse d'une des fenêtres à l'étage de l'auberge. Elle traverse la cour boueuse sous le fin crachin d'une démarche vacillante. La chose a été facile. Surprise dans son sommeil, sa victime n'a pu pousser un seul soupir... L'elfe trébuche, et doit s'appuyer à un mur des écuries, le coeur au bord des lèvres. Son corps un peu maigre d'adolescente ayant grandi trop vite tremble, comme agité d'une mauvaise fièvre.

Les joues ruisselantes de larmes, elle s'aperçoit que ces mains sont maculées de sang. De larges taches rouges sur les draps blancs...
- Oh, aeda, ada ! murmure-t-elle d'une voix brisée.
Inconsciemment, elle a utilisés les mots elfiques qu'elle avait prononcés, trois ans auparavant, quand elle était entrée chercher l'entreinte affectueuse de ses parents après un méchant cauchemar... Le carrelage des corridors était si froid... Le palais semblait si désert... Là, la haute porte à double battant des appartements royaux. Salon, bureau, antichambre... et la chambre. La chambre avec le lit et les larges taches rouges sur les draps blancs. Oh, maman, papa !

Sans s'en être rendue compte, Shandra est parvenue au bord d'un ruisseau. Avec des gestes frénétiques, elle s'acharne à faire disparaître les traces de son premier meurtre. Alaren ne voulait pas qu'elle reprenne le flambeau, qu'elle devienne une tueuse professionnelle.

A cette idée, ses lèvres frémissantes s'étirent en un rictus effrayant. Peut-être craignait-il que cet assassinat sur commande ne ravive les souvenirs enterrés derrière la porte condamnée de sa mémoire. Dans ce cas, il ne s'est pas trompé : elle se souvient de tout, de tout ! Même de l'étreinte étouffante des bras qui l'avaient autrefois éloignée du lit.

Se débattant comme un beau diable, elle avait réussi à voir le visage de l'intrus : maigre, buriné. Alaren n'avait pris que quelques rides au coin des yeux... L'assassin l'avait rattrapée. C'est alors qu'elle avait senti la chaleur.
Elle était trop jeune pour avoir appris à maîtriser la magie. Folle de peur, de changrin, d'horreur et de colère, il était hors de question de contrôler quoi que ce soit. Le feu avait pris très vite. Dans le tapis, puis les rideaux... Dans le manteau du tueur. Il s'en était débarrassé avec précipitation. Un véritable enfer de flammes et de fumée s'était déchaîné. La fournaise, c'était la dernière chose dont elle se rappelait. Ensuite, c'était le trou noir, jusqu'à son réveil dans la cabane d'Alaren, au fond des bois.

Shandra se relève. La souffrance a fait place à une rage dévorante. Elle met la longue épée qu'elle a emportée avec elle à nu, puis se met en marche d'un pas rapide. La cabane n'est plus très loin.

Il l'attend. Quelque sombre pressentiment semble l'avoir averti. Debout face à la minuscule cheminée, Alaren fixe les flammes, les mains croisées dans le dos. Le bruit de la porte ne le fait pas réagir. Pourtant, il écoute, il suit sa progression à travers la petite pièce. L'épée jette un éclat froid en s'élevant au-dessus de sa tête. Avec un cri vengeur, l'elfe abat son arme, mais la lame ne mord que sur les pierres de l'âtre : l'homme s'est dérobé. Et quand Shandra se détourne, elle se trouve face à un glaive tenu d'une main ferme. L'expression d'Alaren est indéchiffrable.

Sa protégée bondit à l'attaque avec une furie aveugle et désespérée. L'épée ne tarde pas à lui être arrachée des mains, et l'elfe est rejetée au sol. Son regard étincelle de rage tandis que la pointe du glaive lui repousse le menton en arrière. Son corps se tend en prévision de la morsure du métal. Son vainqueur secoue la tête, les lèvres pincées, les traits durs pour ne pas montrer sa profonde détresse.
- Tu n'aurais jamais dû accepter de contrat, Shan. Ni celui-ci, ni un autre.
- Mes parents ! Les fondateurs d'Eltherith ! C'est toi ! C'est toi qui les as tués !
- Oui. Certains chefs de la Horde de Lorndor ont estimé qu'ils représentaient un danger trop grand. Moi ou un autre... quelqu'un s'en serait chargé, de toute façon.
Shandra se cache le visage dans les mains.
- Mais pourquoi ne m'as-tu pas tuée moi aussi ?
Alaren se laisse tomber sur un banc instable qu'il a façonné de ses mains avec plus de bonne volonté que d'adresse.
- Je n'en sais rien. Cela a été l'unique fois où j'ai flanché. Je ne savais que faire... alors je t'ai gardée avec moi, en espérant t'offrir une vie aussi bonne que je pourrais...
- Je ne te pardonnerai jamais ! Jamais !

Il se voûte, accusant soudain son âge plus que mûr. Sa voix se réduit à un murmure :
- Il y a autre chose que tu dois connaître au sujet de tes parents...
Ses paroles bourdonnent aux oreilles de l'elfe, toujours allongée sur le sol de terre battue. C'en est trop, trop d'un coup. Elle roule sur le côté avec l'impression que sa poitrine va éclater.
Alaren s'est tû.

Chancelante, elle se remet d'aplomb et, d'un pas traînant, va récupérer son épée à l'autre bout de la pièce. L'homme ne bouge pas, acceptant à l'avance le coup mortel qui va s'abattre sur lui.
- Je te hais, Alaren. Que je ne te revoie jamais.
Le vent qui entre par la porte ouverte sur les ténèbres de la nuit couche le feu dans la cheminée.
Shandra est partie.
Avec un sanglot, l'assassin enfouit son visage dans ses paumes.

Chapitre 4 : le souffle de la mort


Un profond soupir d'exhale des lèvres de Shandra. Oui, c'est ainsi qu'elle a entrepris son retour en Lorndor. D'un mouvement de tête impatient, elle chasse ces souvenirs cuisants. L'heure n'est pas à la mélancolie : dans quelques heures, il faudra lever le camp et repartir au combat. Eltharion a décidé qu'il était plus judicieux de parcourir la plus grande distance possible avant l'aube. Ils passeraient entre les lignes ennemies comme des ombres... Frapper vite et fort, tel était leur mot d'ordre. L'elfe s'y conformerait, bien sûr, même si cette campagne la détournait de son but.

Tournant le dos aux plaines assoupies, elle regagne la clairière d'un pas lent. Un pressentiment funeste lui martèle les tempes. La journée sera éprouvante. Elle dévisage ses compagnons plongés dans le sommeil. Puissent-ils tous voir le soleil se coucher ! Shandra le souhaite de toute son âme, mais elle sait que cela ne sera pas le cas. Bientôt, les champs de bataille seront rouges...

***

Dans cette mêlée furieuse, les membres du clans ont été vite séparés. Le point de ralliement est loin, si loin...

Elle bute presque sur un énorme berkerser. Le monstre est blessé, mais cela ne fait que décupler sa rage : il braque son attention sur la silhouette fâlote qui recule devant lui, hésitante. C'est un vrai géant. Shandra doit se dévisser la tête pour le regarder en face. D'un pas lourd qui fait vibrer sourdement le sol, la créature s'avance dans un grondement terrible.

L'elfe tourne la tête d'un côté et de l'autre, dans le vain espoir de trouver un allié de circonstance. Dans l'agitation des combats, elle a presque perdu tout ce qu'elle avait : il ne lui reste que ses poings, et sa magie. C'est bien peu face à un tel adversaire, d'autant plus qu'elle n'a guère fait l'expérience des monstres jusqu'ici...

Shandra n'a pas le loisir de réfléchir plus avant : avec un rauquement profond, le berkerser vient de fondre sur elle. Vive comme l'éclair, elle plonge au sol et se relève derrière lui. Au passage, elle a arraché une lance brisée qui dépassait de son cuir épais. Mais, avant d'avoir pu porter le moindre coup, son adversaire se détourne et l'envoie s'écraser à plusieurs mètres de là. Il se précipite derechef sur sa proie.

Par chance, l'elfe n'a pas lâché son arme de fortune. Sans perdre de temps à se relever, elle vise le jarret de la créature. La morsure de la pointe de métal arrache un hurlement perçant au prédateur qui trébuche. Mais il ne s'arrête pas. Déjà, il se dresse au-dessus de Shandra. Cette dernière fait de son mieux pour ne pas se faire écraser. La fatigue rend ses mouvements de plus en plus lents, de moins en moins assurés.

Le monstre ouvre une gueule qui exhale un relent fétide d'épouvante et de mort. La fin est proche.


Dans un sursaut d'énergie farouche, sa victime plaque ses mains sur le mufle hideux. Une écoeurante odeur de chair brûlée se répand, tandis que la créature pousse un cri d'agonie. Elle agite sa lourde tête aveugle en tous sens en tournant sur elle-même, avant de s'abattre au sol. Un gargouillis étranglé, puis plus rien. La bête est morte.

La chute du berkerser n'est pas passée inaperçue. Et l'état de celle qui l'a tué non plus. Plusieurs êtres de la Horde accourent, alléchés par la perspective d'achever un elfe de plus. Trop éprouvée pour les affronter, Shandra se résigne à prendre la fuite, sans parvenir à éviter toutes les attaques.

Sa vue se trouble. Un portail enchanté se dresse, tout proche. Quelques pas encore...

Il a frappé sans prévenir. La blessée n'a plus la force de crier quand la lame de la dague s'enfonce entre ses omoplates. Elle a juste de le temps de distinguer le visage de son agresseur avant de sombrer dans les ténèbres : un homme. Un homme de l'Alliance...

***

Shandra se redresse, un peu étonnée de se réveiller dans une chambre inconnue dont les boiseries sculptées avec art brillent sous les frais rayons du matin. Se levant, l'elfe va de surprise en suprise : il ne subsiste aucune trace de ses blessures et tout son attirail est posé sur une chaise. Même sa longue cape noire, tachée de boue, de sang et déchirée de toutes parts est là, propre, intacte, comme neuve.

Renonçant à comprendre, Shandra s'habille rapidement. Au passage, elle jette un coup d'oeil par une des croisées. Elle ne croit avoir jamais vu cette merveilleuse forêt d'un émeraude profond nuancé d'or, pourtant cette vue agite un souvenir très lointain dans son coeur. C'est comme si elle l'avait toujours connue... Il lui est difficile de s'arracher à ce paysage délicieux.

Elle sort si vite dans le couloir à colonnes qu'elle manque renverser un autre elfe qui passait par là.
- Eh-là ! Pourquoi tant de hâte ? demande-t-il en souriant.
D'un geste circulaire, Shandra désigne le corridor dont les voûtes immaculées s'élèvent très haut au-dessus de leurs têtes.
- Mais... où sommes-nous ?
- Dans la demeure de tous les elfes, bien sûr !
Elle considère son interlocuteur avec effarement. Il lui adresse un clin d'oeil amusé.
- Ca fait toujours bizarre, la première fois. Mais on finit par s'y faire.

Elle n'a pas le temps de lui poser d'autres questions : déjà, il s'est éclipsé. Abasourdie, elle secoue la tête, puis se décide à descendre un vaste escalier de marbre blanc. Elle a la vague impression d'avoir déjà vu cet elfe au regard à la fois vif et moqueur. Sur les affiches de mise à prix d'une guilde de mercenaires, peut-être... Son esprit est encore un peu embrumé. Ses souvenirs se recollent petit à petit.

Absorbée dans ses pensées, Shandra traverse les bois qui lui ont paru si beaux tout à l'heure sans les voir. Elle se rapelle d'un... d'un point de ralliement. Oui, c'est là qu'elle doit aller. Se raccrochant à cet unique objectif clair, elle accélère le pas. C'est à plus d'une journée de marche de là. Si elle ne perd pas de temps en route, elle y sera presque à la nuit.

***

Ce n'est qu'au coucher du soleil que les brumes épaisses qui entourent sa dernière vision avant son réveil au château des elfes se dissipent. Le choc de la révélation l'arrête aussi net qu'un mur. Un membre de l'Alliance... Est-ce possible ? Une profonde sensation de vertige l'envahit tandis que ses repères s'effondrent les uns après les autres. Brusquement, elle n'est plus sûre de rien. L'idée de rejoindre son clan l'emplit d'un profond malaise, sans qu'elle puisse expliquer pourquoi.

Combien de temps est-elle restée là à réfléchir ? Difficile à dire : de lourds nuages cachent la lune. L'averse s'abat bientôt, si drue que l'elfe est trempée en quelques secondes. La pluie qui ruisselle dans son cou lui éclaircit les idées, l'empêchant de s'abandonner à la langueur rêveuse qui, pour ceux de son espèce, précède parfois la mort.

Les lumières accueillantes d'une auberge scintillent au loin, dans la pénombre. Shandra court jusqu'à cet abri providentiel. Cependant, une hésitation la saisit sur le perron : le son des voix humaines lui fait remonter un frisson le long du dos. Comment savoir... A qui se fier, à présent ? Pour la première fois, elle recule face à ses propres peurs. Incapable de se maîtriser, elle se réfugie dans les écuries. Là, il fait sec, au moins...

A son entrée, les bêtes s'agitent. Quelques griffons s'ébrouent, dépliant à demi leurs longues ailes, des chevaux passent des têtes curieuses par dessus la porte de leurs stalles. Shandra est attirée comme par un aimant par deux yeux de feu émeraude qui luisent au-delà d'une solide chaîne. Le tigre sort de l'ombre avec un feulement sourd. Il s'approche en louvoyant, tantôt faisant mine de s'éloigner d'un bond souple, tantôt se couchant presque sur la paille qui couvre le sol. Il finit par pousser doucement l'intruse du museau dans un ronron assez formidable pour faire reculer tous les autres animaux le plus loin possible.

- Quand je pense que l'officier propriétaire de ce gros matou se vante d'être le seul à pouvoir l'approcher...
Shandra sursaute : aucun de ses sens aiguisés ne l'a avertie d'une autre présence. S'efforçant de dissimuler sa surprise -et sa peur coupable-, elle se détourne avec lenteur...

Chapitre 5 : un nouveau départ


Ses yeux d'or percent aisément l'obscurité, et un infime soupir de soulagement lui échappe : cette petite silhouette n'est assurément pas celle d'un humain. L'allure posée du gnome lui plaît tout de suite, mais elle garde le silence, bien décidée à ne plus se laisser abuser par les apparences. L'examen muet de son vis-à-vis se prolonge et l'elfe s'agite, mal à l'aise. De son regard scrutateur et plein d'expérience, il semble à même de lire dans ses pensées...

- Allez, viens. Je crois que tu as besoin de boire quelque chose, toi.

Shandra tressaille à nouveau. Elle ouvre la bouche pour refuser, avant de s'apercevoir qu'elle lui a déjà emboîté le pas. La porte de la taverne s'ouvre sur un chaleureux bouhaha. L'elfe passe le seuil puis s'immobilise. Elle garde sa capuche ruisselante baissée sur ses yeux, telle la visière d'un casque, comme pour se prémunir d'une agression qui ne vient pas.

En dépit de sa stature, son mystérieux accompagnateur s'est frayé sans la moindre difficulté un chemin jusqu'au comptoir. Il gagne une table dans un angle sans renverser une seule goutte des deux bières qu'il a à la main malgré la foule, puis lui fait signe de le rejoindre.

Ils boivent sans parler. Le gnome semble avoir décidé de la laisser prendre l'initiative, mais elle louvoie, se dérobe de la même façon que le tigre dans les écuries. Une telle sagesse et une telle générosité mêlée à la vaillance se reflettent sur ses traits vigoureux que Shandra finit par se confier. D'une seule respiration, tout d'un trait. Il l'écoute sans l'interrompre jusqu'à ce qu'elle en ait fini puis lâche un soupir :
- Bon, je vais te chercher une autre bière.

Quand il revient, l'elfe frémit encore comme une feuille au vent d'hiver. Elle vide la nouvelle choppe à une vitesse qui fait lever un sourcil à son vis-à-vis.
- Vas-y doucement quand même, hein !

Un elfe s'approche du gnôme pour lui glisser quelques mots à l'oreille. Il acquiesce rapidement avant de se lever.
- Shandra, pourquoi tu ne te joindrais pas à nous ?
L'offre est pour le moins inattendue.
- Mais j'appartiens déjà à un clan !
- Je sais, je sais. Cependant, j'aimerais que tu y réfléchisses.
Il s'éloigne à la suite de l'autre elfe. Shandra retrouve juste assez de présence d'esprit pour le rappeler :
- Je ne connais même pas ton nom !
Le gnome sourit.
- Ah ! Moi, c'est Fort. Et eux (il désigne de la tête un groupe d'individus assez dépareillés qui attendent près de la porte. Tous ont la même détermination dans le regard), ce sont les Klone.

***

Voilà, c'est fait.
Shandra a mis trois longs jours à se décider, errant sans but dans les bois. Mais c'est fait. Elle a longuement tourné et retourné les termes de la lettre dans sa tête avant de les coucher sur le papier et de les confier à un messager au pied léger qui partait vers le nord. Les termes de sa lettre de démission -ou plutôt d'excuses- à Eltharion. Il comprendra sûrement. Elle lui a tout avoué sur son identité, et son passé... y compris ce qu'elle a appris de la bouche d'Alaren au sujet des défunts fondateurs d'Eltherith.
Ils sont morts.
Mais ils marchent toujours sous le soleil de Lorndor.
Réveillés de leur trépas par quelque cruelle sorcellerie de ceux qui ont commandité leur assassinat.
Ce ne sont plus des elfes...
Ce sont des morts-vivants.

***

De francs éclats de rire emplissent la grande salle de l'auberge. Le maître des lieux sue derrière son comptoir pour répondre aux demandes incessantes de ses clients assoiffés, son visage rubicond fendu d'un large sourire réjoui. Il se réjouit parce que la campagne en royaume undead du clan Klone a porté ses fruits. Il se réjouit parce que les aventuriers ont les poches pleines d'or, et que cet or est tranquillement en train de passer dans sa caisse...

Il y a aussi des Gardien, des Elfpower, et d'autres encore. Tous profitent de la fête.
Rassemblés à une table à peine plus calme que les autres, les chefs ont du mal à dissimuler leur profonde fierté.
Tous ont eu vent des rumeurs de bataille, dans l'est, mais, pour le moment, ils n'y pensent pas. Il est une chose que l'on apprend, en Lorndor : c'est que le futur n'est pas important. Seul le jour présent l'est, et il convient d'y mordre à pleines dents.

Une elfe particulièrement joyeuse trébuche près du comptoir. Un des officiers elfpower la rattrape de justesse.
- Hep ! Mais ma parole, Shandra, tu as trop bu !
Elle se retient à une table avec un petit rire puis rejette en arrière une longue mèche de cheveux qui lui tombe devant les yeux.
- Moi ? Mais quelle idée !
Ceux qui la connaissent ont un air plus que sceptique, et c'est peu dire.

A l'autre bout de la salle, on a hissé un jeune gnome sur une table bancale. Des encouragements fusent tandis qu'il cale un violon presque aussi grand que lui sous son menton. L'air endiablé qui s'élève bientôt électrise l'assemblée. D'un bond, Shandra entre dans le cercle laissé par les tables et chaises repoussées contre les murs. Sous les sifflets et le choc rythmé des pieds sur le sol, elle se lance dans une folle danse.

Chancelante de fatigue, le visage coloré par l'effort, elle finit par rejoindre le comptoir.
- Une autre, patron !
- Tu as encore de l'or ? s'étonne un de ses voisins.
Elle prend un air mystérieux, puis pouffe silencieusement.
- Disons que je l'ai emprunté à quelqu'un qui n'en a momentanément plus l'usage !
Les elfes se retournent pour regarder le nain qui ronfle sous un des bancs.
- Shandra, voyons !
- Ah, non, taisez-vous, bande de rabat-joie ! coupe-t-elle avec une fausse colère. Pour une fois que je m'amuse, j'ai bien le droit d'en profiter, non ?
Ils échangent des coups d'oeil amusés.
- Nous désespérions de te l'entendre dire !
- Eh bien ! Santé et longue vie !
Tous trinquent en riant.
Shandra ne tarde pas à dodeliner de la tête.
Au fond de la salle, le violon émet de plus en plus de fausses notes, ce qui ne dérange plus grand monde, étant donné que les ronflements sonores des buveurs assomés par l'alcool couvrent la musique.

Shandra n'a pas encore trouvé d'indices qui pourraient lui révéler où sont ses parents, ou même s'ils sont toujours en Lorndor. Un jour, peut-être... mais, pour les elfes, le temps ne compte pas. Il y a trop de choses à vivre pour se laisser détruire par le passé.
C'est sur cette pensée qu'elle glisse sur le côté et s'endort, la tête contre l'épaule d'un officier un peu surpris, mais pas mécontent.

Les elfes encore sur pied sourient, d'un de ces sourires mystérieux qui leur est propre.
Une belle voix claire fredonne la douce ballade qui accompagne les voyageurs :

Les routes se poursuivent encore et toujours
Par-dessus les rochers et sous les arbres,
Par des cavernes où jamais le soleil n'a lui,
Par des rivières qui jamais la mer ne trouvent ;
Sur la neige par l'hiver semée,
Et par les joyeuses fleurs de juin,
Sur l'herbe et sur la pierre,
Et sous les montagnes dans la lune.
Les routes se poursuivent encore et toujours
Sous les nuages et sous les étoiles,
Mais les pieds qui sont partis à l'aventure
Reviennent enfin au lointain foyer...
(le Hobbit, J.R.R. Tolkien)

Et voilà. Mon histoire personnelle n'est pas terminée, bien sûr, mais mon récit s'arrête ici. Peut-être le reprendrai-je un jour, qui sait ? Nul ne sait de quoi sera fait l'avenir...

Je tiens à préciser que les événements relatés sont, dans la mesure du possible, exacts. J'avoue cependant avoir enjolivé quelques passages... Si ceux dont j'ai cité le nom trouvent que j'ai déformé la réalité, leurs actes, ou leurs paroles, qu'ils veuillent bien m'en excuser. Il est parfois nécessaire d'interpréter les choses, ce que je me suis efforcée de le faire au mieux.

Et je les remercie, ainsi que tous ceux qui ont pu participer à cette aventure à mes côtés mais que je n'ai pu mentionner, sous peine d'écrire plus de pages que votre patience de lecteurs ne l'autorise.

A tous, merci
Shandra

Si vous avez des commentaires qui vous brûlent les lèvres, vous pouvez y aller !

J'ai beaucoup aimé et je ne pense pas être la seule !

Les descriptions détaillées qui plantent le décor sont colorées et poètiques, et nous entraînent avec douceur dans un autre monde.

Nous faire ainsi voyager en respectant les évènements réels et concrets de ta vie d'Elfe en Lorndor, bravo !

Je suis également impressionné par cette talentueuse Shandra qui a bien voulu accepté de rejoindre les Klones , comme quoi mon intuition ne m'avait pas trompé

(il faudra que je rédige l'histoire de Fort quand j'aurais un peu de temps).
En tout cas bravo encore Shandra, c'est magnifique

Bon, je voulais pas être le 1er à poster ici pour pas "polluer", mais si tout le monde s'y met...
Bravo!

Vraiment ... dommage que tu sois une elfe , j'aurais eu plaisir à t'acceuillir dans les rang de la horde lettrée ! Si par hazard , je te trouve , le plaisir que me procurera ta mort n'en sera que décuplé

Sekikator, est-ce que ça vaut vraiment la peine que je te réponde ?

Après ça, mon respect pour Seytanh n'en est que plus grand (merci pour ces jolis compliments ).

Et si j'ai mis "vous pouvez y allez" pour les comments, c'est justement pour que vous n'hésitiez pas à poster vos impressions !
Du calme quand même : on n'est pas dans la section "guérilla".

Hum, Fort, pour le portrait flatteur que j'ai fait de ta personne, j'ai le droit à de l'avancement ? Naaaan, c'était une plaisanterie ! (je sais que c'est pas comme ça qu'on monte par chez nous )

Et voici mon autoportrait, réalisé un jour d'ennui où je me trouvais bloquée loin des champs de bataille... Juste pour prouver que les elfes ne savent pas que manier l'épée

jolie l'elfette et tu dessine bien

Merci, martpunk ^^
Du coup, je me suis lâchée un peu et j'ai rajouté quelques illustrations de mon cru dans le texte.
Encore une fois, si quelqu'un a des commentaires ...

Ça me donne faim