J’ai grandi avec des animaux et j’ai toujours considéré qu’ils étaient dotés de sentiments.
Sur mon lieu de travail, j’ai dernièrement eu l’occasion d’entendre les témoignages d’une avocate et d’une éducatrice travaillant en milieu carcéral, exprimer leurs doutes et leurs désespoirs quant à l’existence de sentiments chez certains criminels ayant commis des actes d’une cruauté sans pareille sur des enfants (par exemple).
En entendant cela je me suis dit qu’ils avaient aussi des sentiments mais qu’ils avaient été "coupé de leurs émotions" pour agir de la sorte.
Mais ce matin j’ai voulu en savoir plus au ce sujet des sentiments humains/animaux.
J’ai trouvé cet article, en voici quelques extraits, pensant que cela vous intéresserait aussi ( et bien entendu, à prendre avec du recul … ) :
(…)
C'est ce que vous appelez le «sentiment», qu'il faut donc distinguer de la simple émotion. Peut-on dire que le sentiment est la perception de l'émotion?
Absolument. Mais c'est aussi la perception de la cause de cette émotion. Lorsque nous éprouvons de la tristesse, nous la percevons physiquement, mais nous avons aussi conscience de ce qui l'a suscitée: une mauvaise nouvelle, la perte d'un objet, la disparition d'un être cher. Les émotions sont des manifestations visibles ou détectables dans le corps (par dosage d'hormones ou par enregistrement des ondes); les sentiments, eux, sont des images mentales, donc cachées… Ce sont en quelque sorte des idées du corps, la conscience d'un certain état du corps lorsque celui-ci est perturbé par un processus émotionnel. Les deux - émotion et sentiment - sont intimement liés, et nous avons tendance à les confondre. Toutes les émotions peuvent devenir des sentiments à partir du moment où nous établissons cette relation de cause à effet entre les transformations de notre corps et ce qui les a suscitées.
Votre escargot marin préféré connaît peut-être la peur, mais il n'a donc pas de sentiments.
Il connaît des émotions, la peur, la sensation de bien-être quand il mange, l'impression que la température ambiante lui convient ou qu'il se sent en sécurité. Il adopte un comportement que l'on peut associer à la souffrance, mais je doute en effet qu'il souffre comme nous ou comme des animaux complexes.
Comment le savez-vous?
Là, nous sommes dans le domaine de la spéculation, mais je m'appuie sur un constat: notre escargot n'a pas les dispositifs anatomiques nécessaires pour percevoir les changements qui se produisent dans son corps. Pour savoir si tel ou tel animal éprouve ou non des sentiments, il faut aller voir s'il existe, dans son cerveau, une cartographie de son organisme. C'est le cas chez l'homme: les différentes parties de notre corps sont représentées, un peu comme s'il y avait des cartes de correspondance. L'émotion peut aller directement au corps - c'est le cas de l'escargot - susciter des réactions chimiques, des signaux dans les muscles, les viscères. Mais elle peut aussi, c'est la grande différence, partir du cerveau lui-même, agir sur ces cartes de représentation du corps, et simuler en somme un état virtuel.
Quelles sont les espèces dotées d'une aptitude «sentimentale»?
Je pense que les oiseaux et les mammifères ont des sentiments. Je serais en tout cas navré d'apprendre qu'ils n'en ont pas. Les comportements de ces animaux sont très proches de ceux des humains. Ils disposent des fameuses structures cérébrales qui font l'encartage du corps.
(…)
Le philosophe George Steiner nous l'avait dit ici: la culture ne nous rend pas plus humains. Mieux connaître le fonctionnement de nos sentiments ne nous rendra pas forcément plus sentimentaux ni plus civilisés.
Nous avons maintenant ouvert une petite porte pour mieux comprendre nos sentiments et nous avons la responsabilité de faire des choix. Ce que nous appelons «relations sociales» ou «culture» ne vient que de nos cerveaux. Ce sont les cerveaux qui produisent et véhiculent des comportements, des romans, des poèmes, ou des lois. D'une certaine manière, on peut voir les règles sociales et éthiques, les institutions comme des prolongements de la recherche d'équilibre que l'évolution a menée. Il est pour moi incompréhensible que certains êtres humains ne soient pas capables de ressentir de la compassion. Ce qu'ont fait les nazis est hors de mon entendement, mais, hélas! ils ne sont pas les seuls dans l'Histoire. Cependant, les humains ne se contentent pas de montrer de la compassion comme les bonobos. Ils savent qu'ils ressentent de la compassion. Spinoza disait: «Le bonheur consiste pour l'homme à vouloir conserver son être.» Mais on peut ajouter avec lui que, si nous n'avons pas de souci pour les autres, il est impossible de continuer avec nous-mêmes.
L'Express du 07/06/2004
Antonio Damasio
«Oui, il y a une biologie des sentiments»
propos recueillis par Dominique Simonnet
http://www.lexpress.fr/info/societe/dos ... ida=428023