Le CSA : des sages si conservateurs
Maurice Ronai et Jean-Louis Bessis
dimanche 29 avril 2007
Rédigé en 2006, cet article se doit d’être réactualisé puisque le jeu de chaises musicales a propulsé de nouveaux sages dans chacune de ces biens dociles assemblées.
Huit membres sur neuf au Conseil constitutionnel. Neuf sur neuf au Conseil supérieur de l’audiovisuel : c’est la proportion des personnalités que la droite aura nommées dans ces deux instances à la veille de la présidentielle de 2007.
Au cours de ses douze années de présidence, Jacques Chirac aura, par une prérogative discrétionnaire conjuguée notamment à celle du président du Sénat (structurellement conservateur), procédé à seize nominations au CSA et dix au Conseil constitutionnel. Au cours des cinq années Lionel Jospin, la gauche n’a eu droit qu’à deux nominations dans chacune de ces deux institutions. Si l’Elysée, Matignon et l’Assemblée nationale sont soumis au jeu de l’alternance, le Conseil constitutionnel comme le CSA obéissent à un rythme différent, renouvelés par tiers, l’un, tous les trois ans, l’autre, tous les deux ans. Ce décalage a théoriquement pour vocation de lisser les mouvements du corps électoral, voire de tempérer les alternances politiques. Cette précaution institutionnelle aurait dû garantir l’impartialité de ces deux autorités. Loin s’en faut.
On objectera que le chef de l’Etat et les présidents des deux Assemblées ne nomment pas que des militants au Conseil constitutionnel et au CSA. Que leurs membres n’endossent pas nécessairement les positions de l’autorité à laquelle ils doivent leur désignation. Que chevronnés, voire en fin de carrière, il peut même leur arriver de se montrer indépendants. Il reste qu’une autorité dont la raison d’être est l’indépendance ne saurait être monocolore. Et quelle que soit la carrure de Pierre Joxe (socialiste, membre du Conseil constitutionnel depuis février 2001), il n’est pas absolument certain qu’il puisse, à lui seul, faire contrepoids à ses huit collègues de la rue Montpensier.
Censeur du Parlement, et partant du gouvernement, le Conseil constitutionnel joue un rôle crucial dans l’élection présidentielle : il contrôle les parrainages et arbitre des contestations éventuelles. Quant au CSA, outre qu’il régente notre quotidien passé devant la télévision à raison de trois heures trente par Français et par jour, il contrôle le déroulement de la campagne présidentielle en veillant, notamment, à l’équilibre des temps d’antenne. En amont de la campagne, il aura désigné le président de France Télévisions, pour cinq ans. A défaut d’exercer son rôle de gendarme de l’audiovisuel, notamment à l’égard de groupes puissants comme TF1, il attribue les autorisations d’émettre. Cette domination criante de la droite au Conseil constitutionnel comme au CSA se prolongera bien au-delà de la présidentielle et des législatives, quelle qu’en soit l’issue.
Première anomalie : vu le caractère indélébile du Sénat, il faudrait à la gauche deux quinquennats (présidence et législature couplées) pour rétablir l’équilibre, voire se frayer une majorité, quand un seul suffit à la droite. Deuxième anomalie : puisque le président du Sénat (qui est toujours de droite) nomme trois des neuf membres des deux instances, la gauche peut y aspirer au mieux à une majorité, alors que la droite peut prétendre à l’unanimité (malgré cette dissymétrie, la gauche a cru devoir, en 1989, calquer le mode de désignation du CSA sur celui du Conseil constitutionnel). Circonstance aggravante : la réduction du mandat présidentiel. Un quinquennat procure au chef de l’Etat une ou deux nominations au Conseil constitutionnel (deux ou trois au CSA) : le septennat, lui, en autorisait deux ou trois au Conseil constitutionnel (trois ou quatre au CSA). Ajoutons des effets de calendrier qui permettront à Jacques Chirac de désigner, avant de quitter le pouvoir, les présidents de ces deux autorités.
Si la gauche revient aux affaires en 2007, elle gouvernera avec un Conseil constitutionnel et un CSA monocolores. Elle patientera jusqu’à février 2010 pour disposer de deux sièges sur neuf rue Montpensier. Si elle était reconduite en 2012, c’est en 2013 qu’elle y conquerrait une minorité significative de quatre-neuvièmes. Si elle ne l’est pas, la droite retrouve mécaniquement sa suprématie. S’agissant du CSA, les fenêtres de tir auront lieu respectivement en 2009 (deux nominations) et 2011 (deux autres). C’est ainsi en fin de mandat que la gauche y rétablirait un semblant d’équilibre.
En somme, sauf deux victoires consécutives de la gauche à la présidentielle comme aux législatives, la droite est assurée de conserver sa mainmise sur ces deux piliers de notre démocratie.