La brume s'épaississait de plus en plus, au fur et à mesure que la soirée avançait. Le chemin qui menait à l'auberge était... on ne peut plus long. Et les pierres, cailloux, roches, graviers qui constituaient le chemin y menant étaient dures sous les pieds fatigués des voyageurs tardifs.
Un panneau de bois annonçait enfin la retraite promise. On cessait tout à coup de maudire l'imbécile de villageois qui nous avait donné une fausse direction, on arrêtait de maugréer pour presser le pas, encore, et arriver rapidement à la porte de l'établissement.
A ce stade-là, il y avait deux cas de figure. Les impatients, qui entraient en fanfare, rougis par le froid et l'air vivifiant du milieu de l'hiver, crottés de boue, perlés de cristaux de neige. Ceux-là voyaient à travers les murs : le bon feu, le bar avec ses chopes alignées, la volaille qui cuisait en répandant une odeur torturant l'estomac... Les autres, c'étaient les perfectionnistes. Ils restaient, indécis, devant le large battant de bois, frottant en vain leurs bottes sur le paillasson détrempé, remettant leurs cheveux en place, époussetant leur manteau. Ceux-là voyaient avant tout les têtes qui se tourneraient dès leur entrée, voyaient aussi l'opinion du tavernier, la ristourne à venir, une bonne place près du feu, cédée par des clients agréables. Vous en conviendrez, ces derniers sont plus idéalistes, bien plus confiants - quoique, la confiance est peut-être chez ceux qui ne se soucient guère de leur apparence.
Toujours est-il que la jeune humaine qui se présentait devant l'auberge était de la deuxième catégorie. Alors elle fit tout ce que toute femme aurait fait, puis poussa la porte, entra, et la referma aussitôt derrière elle. Une bouffée d'air chaud l'assaillit, les odeurs de cuisine assiégèrent ses narines, le bruit des conversations fonça dans ses tympans. Un lent sourire se dessina sur ses lèvres.
"Bonsoir !"
Sa voix, éraillée par le silence continu de toute la journée, se perdit dans la grande salle. Elle s'éclaircit précipitamment la gorge, et jeta un regard plus approfondi autour d'elle. Foule de voyageurs, d'aventuriers, des jeunes et des vieux, des sortes de gens qu'elle n'avait seulement jamais vues. La jeune femme eut un haussement d'épaules imperceptible, mais qui suffit à lui arracher une grimace. Elle replaça son sac sur son dos, vérifia que la garde de son épée était toujours bien visible, puis s'approcha du comptoir. S'y accoudant, elle regarda les clients aller et venir, et attendit qu'on lui proposât quelque chose.
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