Chapitre XV : Ascension
Je ferme les yeux quelques instants. Les Dragons ont beau être énormes et très puissants, ils sont la proie favorites des chasseurs de trésors. Ceux-ci ont développés des techniques très efficaces pour surprendre et abattre les Dragons, qui sont non seulement gardiens de trésors incroyables mais aussi sources de nombreux produits rares et précieux : dents, peau, yeux de dragons se vendent très cher. De par cette chasse, les Dragons se rarérifient, se cachent, et ne restent que les plus vieux, les plus dangereux... Et c'est le plus vieux qu'il me faut trouver. Lui saura certainement me renseigner... Si son souffle ne me réduit pas à un tas de cendres. Je n'ai aucun moyen de le trouver par des moyens physiques. Il va faloir, pour cela, utiliser l'esprit.
Je parcours les ruines du regard, et avise une tour qui semble encore assez solide. Je grimpe jusqu'au sommet, me retrouvant à la merci des vents glacés des montagnes. Qu'importe, ce n'est pas un courant d'air qui m'arrettera. Dans cette quête, je crains bien plus qu'un rhume. Je m'assoit, et ferme les yeux, libérant mon esprit de ses attaches corporelles. Un à un, mes sens s'évanouissent, alors qu'une autre perception, magique, prend le dessus. Je sens les courant de mana qui parcourent ce monde. Je ne sens plus la morsure du froid. Je ne vois que ces fleuves d'énergies, de véritables rivières d'étoiles qui traversent ciel, terres, montagnes, plaines, océans, villes et murailles... Mon esprit s'élève. Encore une fois, je suis seul, seul dans une immensité vide de tout être vivant. Les étoiles m'entourent, leur mouvement me carresse, je ne sens plus la coupure du vent mais la caresse des énergies magiques. Je m'élève, à travers les nuages, toujours plus haut, j'ai l'impression de retrouver les portes du Paradis. Je me laisse aller à la caresse de l'énergie pure, qui entre en résonnance avec mon âme. Je sens le flot entrer en moi, la puissance rugir dans mon âme.
Je fais corps avec les énergies. Je suis omniscient, incroyablement receptif, et pourtant tellement seul... Il est temps de trouver ce Dragon. Ils aiment les noeuds d'énergie, là où les courants se croisent, les sources de puissance. Je suis le flot et parvient à l'un de ces noeuds. Au coeur de la montagne, dans une immense caverne dont la seule entrée est une faille béante inaccessible sinon par les airs. Un immense Dragon, le plus grand, le plus puissant, le plus riche. Je ne le vois pas, mais je sens son énergie, son âme incroyablement vieille et forte. Un gigantesque brasier de force, détonnant au milieu de ce monde couvert des petites flammes d'êtres insignifiants.
Je chûte, me laisse aller, et regagne mon corps. J'ai perdu la notion du temps, je peine à ouvrir mes paupières gelées. Une couche de givre a recouvert mon corps entier. Un cocon de glace, qui me rend insensible à tout autre chose que le froid de la mort. Je me lève, brisant la coquille qui retombe en fragments sur le sol recouvert de neige. J'admire le paysage. Une infinité blanche qui recouvre les monts avoisinants, les ruines à mes pieds quir essemblent à la carcasse d'un géant mort... M'arrachant à la contemplation, je descend de mon perchoir pour me remettre en route. J'ai du chemin à faire...
L'épisode du village m'incite à me tenir à l'écard des habitations, et des groupes de pillards qui se rassemblent en hiver. Alors je marche, seul, encore... Une profonde lassitude me tenaille. La solitude devient une amie, quand on grandit avec elle. Mais sentir la chaleur des foyers, entendre les rires des enfants, me rend étrangement triste. Je ne veux pas m'en approcher. J'ai peur du démon. J'ai peur de moi-même.
Et je continue à marcher dans la neige, à travers les montagnes, suivant les rivières gelées, à travers le froid mordant de cet hiver qui semble éternel. Le vent s'engouffre dans les vallées, faisant voler la poudre blanche, brouillant ma vue, effacant mes traces, m'isolant totalement dans une tornade blanche. Mais je n'ai pas le choix. Je continue, guidé par mes souvenirs, guidé par la force incroyable de la créature que je commence, peu à peu, à sentir.
Enfin, j'arrive à la vallée qui est ma destination. Levant la tête, j'aperçois l'entrée de la grotte, à plusieurs dizaines de mètres du sol, déchirure horizontale sur cette immense falaise aux sommet déchiqueté. Mes pouvoirs ne me permettent pas de grimper la-haut. Je peux détruire, mais pour ce qui est de construire, je suis beaucoup moins entraîné. Il va me faloir grimper... Je vérifie les attaches de mon équipement. Pas question d'abandonner la moindre pièce d'armure, et encore moins Frostmourne. Peut-être ne aurais-je besoin contre le dragon. Je frisonne à cette pensée, je sens d'ici la pulsation sourde de son aura.
J'entame l'escalade perilleuse. Je m'accroche de toutes mes forces à la paroi gelée, progressant petit à petit sur ce mur gigantesque. Il ressemble plus au flan d'un glacier qu'a celui d'une montagne. Mes doigts gèlent litteralement, alors que ma peau se déchire sur les la roche cruelle. Le vent hurlant dans la vallée manque de me faire tomber plusieurs fois. Une chute à cette hauteur, malgrès ma force, me mettrait bien à mal. Difficile de faire de la magie avec tout les membres broyés. Je ne peut plus reculer, je n'ai plus le choix. Alors je monte, encore, sur cette falaise qui paraît ne pas avoir de fin. Mais la roche est traître, et un prise se dérobe sous mes doigts, et déséquilibré, je ne peux m'empecher, cette fois, de chûter. Le vent siffle à mes oreilles à une vitesse folle. Il faut réagir, vite. Je dégaine Frostmourne, et, avec un hurlement de colère, transperce la falaise. Je m'accroche désespéremment à la poignée, et fini par retrouver des un appui stable. Je range mon arme, et reprend ma montée, la rage au ventre. Il faut que j'arrive la-haut. Le démon ne se manifeste pas, il sait que la moindre erreur peut m'être fatale. L'ascension continue, solitaire, mortellement dangereuse.
Je fini par poser la main sur un rebord plat, et je m'y hisse tout entier. Enfin, j'ai atteint mon but. L'espace d'un instant, je reste couché, abasourdi par l'absence de vent, et la chaleur qui règne ici. Brusquement, réalisant le danger, je me relève, et observe l'intérieur de la caverne. Ce n'est que l'entrée, sombre et brûlante comme la bouche d'un monstre. Elle est immense, profondémment creusée dans la montagne.
Je prend Frostmourne dans la main droite, et créé un brasier dans la gauche, flambeau magique pour guider mes pas. Résigné, je m'enfonce dans les ténêbres.
Chapitre XVI : Face à Face
Le terrain est accidenté, la marche dangereuse. Les affleurement rocheux sont coupants comme des rasoirs, et la température même de la roche commence à monter. J'enregistre ces informations sans quitter mon objectif des yeux. Les ténêbres insondables d'où peuvent surgir à tout moment les flammes de l'enfer. La chaleur devient etouffante. J'éteinds mon flambeau magique, me guidant à la lumière que je commence à voir poindre au bout du tunnel. Je marche lentement, avec précaution, le plus silencieusement possible.
J'arrive enfin dans une salle immense brillant de milles feux. Aux murs, des flambeaux éternels, alimentés par la magie du dragon. Leur flamme et leur chaleur se réverbère dans des millions de pièces d'or éparpillées sur le sol. Les stalagmites son formés de monceaux d'or et de pierres précieuses. A perte de vue, la caverne se prolonge, remplie de merveilles, richesses amassées durant des millenaires. Suffisament d'or pour nourrir un Empire pendant des siècles. Mais je ne suis pas la pour ça. Je cherche du regard la créature qui veille sur le trésor. Le souffle chaud de la bête me caresse l'échine. Je sens jusque dans mes os les pulsations gigantesques qui l'animent.
J'avance, mon regard se perdant dans les milliers de miroirs dorés qui m'entourent. Mes sens sont faussés. Peut-être le dragon sera-t-il assez curieux pour me laisser en vie le temps nécessaire pour que je lui expose mon problème. Peut-être même dort-il. Une pièce glisse, ricoche dans un vacarme infernal. Je me transforme en statue, mais c'est inutile. Il sait que je suis là. Sa voix, incroyablement profonde, résonnant de puissance pure, retentit dans la caverne. Précédée, comme il se doit, d'un jet de flamme suffisament imposant pour carboniser une armée entière. Je parvins à m'abriter, juste à temps, derrière un tas d'or. Je lui parle, lui fait comprendre que je ne suis pas un chasseur. Un chasseur ordinaire n'aurait, de toute façon, pas franchi l'épreuve de la falaise. Il me laisse approcher. Ce qui n'est pas sécurisant pour moi, car je suis à présent à portée de ses crocs. Je le vois, enfin. Rouge comme le sang, jûché tel un seigneur sur un tas d'or aussi gros qu'un palais, il est véritablement le roi des dragon. Sa taille elle même est incroyable. J'ai du mal à imaginer comment des mortels peuvent même concevoir l'idée de chasser ce genre de créature. Sa puissance est presque palpable.
Il me laisse parler. Il a l'éternité devant lui. Je lui explique mon problème, ce que je cherche. Il hésite à me répondre, se dit qu'il pourrait m'utiliser avant de me donner le renseignement. Conscient de jouer avec la mort, je lui explique que si je ne récupère pas rapidement la dague, je ne serais plus maître de moi-même. Il me comprends, et m'indique où trouver le dragon que je cherche. Le seul à fouiller encore dans les montagnes. Le seul qui, au mépris des chasseurs, vole encore à basse altitude. De Moëbus, nulle chance de trouver la moindre trace. Satisfait d'avoir eu mon renseignement, je me prépare à partir. Du regard, j'embrasse une dernière fois la caverne aux merveilles. N'y pense même pas. Je sors, tandis que la chaleur du dragon me quitte, peu à peu, et que je retrouve la lumière du jour. Je me retrouve au bord du gouffre, balotté par les vents des montagnes. Problème épineux : comment descendre ?
Une secousse. Le dragon s'agite, me déséquilibre, et je ne peux éviter la chute. Le vent siffle à mes oreilles, de plus en plus fort, alors que le sol se rapproche à une vitesse vertigineuse. Aucun moyen de ralentir ma chute. Ne reste plus qu'a amortir mon aterrissage. Me concentrant pour tenter de maîtriser cet élément que je n'ai pas l'habitude de manier, j'invoque la neige. Beaucoup, de neige. Le sol rocheux, sous moi, se couvre d'un matelas blanc, prêt à me recevoir. Juste à temps, je percute le sol. Légèrement sonné par le choc mais toujours en un seul morceau, je m'extrais du trou percé par mon corps dans la couche neigeuse. Tout en réfléchissant, je retire les flocons égarés sur mon armure. Vers l'ouest. Le Dragon m'a dit d'aller vers l'ouest. Pesamment, je me met en marche vers le soleil couchant.
Les jours sont courts dans ce pays reculé. Les astres se cachent en permanence derrière une épaisse couche nuageuse, qui donne souvent naissance à des pluies diluviennes. Je ne crains pas l'eau. Mon armure, enchantée, non plus. Alors j'avance, véritable zombie à la volontée fixée sur un seul objectif. Je monte les plus hauts cols, traverse les plus profondes forêts. Sans rencontrer d'hommes. Heuresement, cette région est tellement reculée qu'elle est préservée, pour l'instant, de leur folie. Le démon, privé de proies, dort.
Ce dragon est plus facile à approcher que l'autre. Je reconnais les marques de griffes à l'entrée de sa caverne, qui n'est pas, cette fois, au sommet d'une falaise. J'entre, prudamment, mais sans sentir la pulsation sourde qui émanait du grand dragon. A vrai dire, je ne sens même rien. Ruse ? Ou serait-il absent ? Je parviens à la salle principale. Au sol, quelques pièces et objets sans valeur abandonnés. Au centre, entourés des marques d'un combat sauvage, le cadavre du Dragon, privé de ses yeux et de quelques autres organes au vertus magiques. Des pilleurs sont passés avant moi... Le sang s'est echappé de l'immense carcasse, formant une énorme tache sombre sous le cadavre qui me fixe de ses orbites vides. Un certain nombre de dents avaient elles aussi disparu, tranformant la majestueuse créature en un vieillard grotesque. Une douleur maintenant familière monte dans mon ventre. Le démon renifle l'odeur de la mort. Je tombe à genoux, luttant pour garder le contrôle de mon propre corps. Je sens des pulsions qui ne sont pas les miennes. Mordre, tuer, dévorer, déchiqueter. La douleur s'intensifie, au point de me faire hurler, tandis que le démon me fait sentir sa rage sourde. Ma main plonge, agrippant l'un des rats qui commençait à dévorer la carcasse. Ma bouche s'ouvre, dans l'intention évidente de déchiqueter le rongeur. Non ! Je lutte contre mon bras, l'éloigne de mon visage, mais le rat fini broyé entre mes doigts rebelles. Le démon se rendort, satisfait dans sa colère. De rage, je jette ce qu'il reste du corps du rat. Sa dépouille pourira avec celle du Dragon.
Les chasseurs ont pris tout ce qui avait la moindre valeur. Y comprit la dague. Le désespoir lance mon poing à une vitesse folle contre une paroi. La rage me tire des larmes. Quand cela finira-t-il ? Quand serais-je libéré de cette malédiction ? Le démon s'agite, me tue de l'intérieur, dévore mes chairs, lacère mon âme. A chaque fois, le démon devient plus difficile à maîtrisier. Si je ne me libère pas vite... Viendra le temps où je ne pourrais plus du tout l'endiguer. Non, je ne préfère pas imaginer ce qu'il se passerait.
Chapitre XVII : Possession
Je reprend mes esprits, doucement. La rage me quitte, et la colère froide, maléfique, m'envahi. J'extrait mon poing de la paroi. Les éclats de roches m'arrachent la peau, quelques bouts de chair. Je ne sens rien. Je regarde ma peau en lambeau. Aucune douleur. Pas de sang. Des chairs mortes... Normal. Thanatos m'a renvoyé parmi les vivants, mais il ne m'a pas pour autant redonné la vie. Il n'a fait que rattacher mon âme à mon corps. En un éclair, je réalise ce qui m'attends. Une décomposition, lente et complète, de la moindre parcelle de mon être. Pour finir à l'état de squelette qui ne tiendra plus debout que par la force de ma volonté. Bientôt, je ne pourrais plus montrer mon visage. Les morts ne sont pas très appréciés en ce monde. Alors, il me faut me hâter. Avant de tomber en morceaux, retrouver cette dague, pendant que je peux encore passer pour un humain. Je ramasse quelques pièces d'or par terre. Les hommes garderont toujours le goût de l'or. Autant s'en servir. Je me dirige vers la sortie.
A l'air libre, je réfléchi. Quelle est la ville la plus proche de cette montagne perdue ? Une ville où les chasseurs auraient pu dilapider leur butin, buvant, forniquant dans des bouges insalubres. Le lot des malfrats de ce monde, toutes races confondues. Des cartes me reviennent en mémoire... Icarie. Ville aussi noire que le café pour laquelle elle est réputée. J'essaye de ne pas penser à la réaction du démon au milieu de tant de créatures vivantes. Il vaut mieux pour moi que je réussisse à garder le contrôle, le temps de retrouver ces pilleurs de trésor. Je commence ma marche vers la cité.
Plus je me rapproche, plus les signes de civilsation se font nombreux. La concentrations de villages augmente, les forêts sont remplacées par les champs. J'aperçois bientôt les remparts de la ville. Un marchand ambulant peu regardant à ses clients, à l'extérieur, me procure une cape de mauvaise facture et des gants de cuir contre quelques pièces. L'invisibilité, dans la cité, reste ma meilleure arme. Je me joins à la foule qui va et viens aux portes de la ville. Des humains, paysans principalement. Parfois, des nains, ou des gnomes venant des contrées avoisinantes. Les elfes ne sortent plus que rarement de leur forêts. Une fois à l'intérieur, j'évite les beaux quartiers pour m'enfoncer dans les bas-fonds. La nuit tombent, les créatures les plus diverses envahissent les rues. Prostituées tentant d'aguicher les passants, hommes d'arme désoeuvrés, brigands de toutes sortes se croisent à la lueur des quelques flambeaux qui peinent à éclairer les étroites ruelles. La chaleur humaine, la puanteur de la sueur et de la crasse deviennent étouffantes. Les pavés se perdent parfois dans le noir, sombres coupe-gorge où des gredins attendent le premier qui osera s'y aventurer, l'accueillant à coup de poignards. Un homme passe au travers d'une vitre. A demi inconscient, il gît sur le sol, se traîne vers un endroit plus sûr que le milieu de la rue où il se fait littérallement piétiner. Je lève la tête et lis l'enseigne. "Aux couteaux tirés". Bon présage ? Je pousse la porte.
Une choppe de terre cuite me rase la tête et va s'écraser dans la rue. L'ambiance est à la bagarre d'ivrogne, et la nuit vient seulement de tomber. Triste monde. Me camouflant du mieux que je peux dans ma cape, je commande un pichet de vin et va m'assoir à l'une des rares tables libres, dans un coin sombre. Les effluves d'alcool me prennent à la gorge. Toute cette agitation... contraste avec la solitude que j'ai connu dans les montagnes. L'aubergiste m'apporte ma commande. Mes doigts tremblent alors que je tente de retenir ma main de l'étrangler. Les pièces roulent sur la table. Voyant mon trouble, il ne cherche pas à comprendre, ramasse ses pièces et retourne derrière son bar. Je contrôle la pulsion qui anime mon bras. Je sers le poing jusqu'a entendre les os craquer à l'intérieur. Le démon se réveille, a soif de sang. Je tente de faire passer le goût avec le vin, mais sa rage est tellement puissante qu'elle en devient perceptible. Son aura maléfique, couplée à la mienne, fait fuir les rats de la salle. Même les autres clients deviennent nerveux. Du moins, ceux encore en l'état de ressentir quelque chose. Le tremblement de mon bras s'atténue. Le démon se calme, mais il est à l'affut. J'essaye de me concentrer sur les conversations d'ivrognes, de saisir les bribes de paroles qui pourraient me guider aux chasseurs. Rien n'y fait. Il parlent de leurs propres malheurs, se complaisent dans l'alcool et la mélancolie, puis jouent aux cartes, trichent sans même s'en rendre compte, puis se battent. Les planches disjointes laissent passer la bière renversée, qui goutte sur la terre, et va abreuver un chat du quartier. Je ne saurais rien ici. Je sors, ombre parmi les ombres.
L'heure tardive ne diminue pas le flux que charie sans discontinuer la rue, fleuve polué par la décadence humaine. Quelques mains s'aventurent sous ma cape, à la recherche de ma bourse. Araignées de chair qui se retirent vite lorsque je les broie de mes doigts de fer. Le bandit devant moi est moins magnanime. D'un revers de poignard, il tranche net la main du voleur, qui s'effondre sous la douleur, se lamentant sur son membre perdu. L'autre rit, vole les quelques pièces raflées par le malheureux, et lui donne un coup de pied qui l'envoie valser contre un mur. Le sang qui gicle de son bras, par sacade, asperge la pierre, formant de macabres arabesques. Spectateur involontaire, je ne peux cette fois résister à l'éveil subit du démon. J'ai juste le temps de plonger dans une rue adjacente, où je me réfugie dans l'ombre, esperant ne rencontrer personne. Malheuresement, une prostituée, croyant que je cherche un plaisir nocture, m'aborde. Ma main jailli, se plaque sur son visage, casse le fragile nez, continue sa trajectoire et l'achève contre le mur de pierre. La tête s'écrase entre mes doigts, le sang jailli avec force du crâne qui s'ouvre sous l'impact, avec un bruit mat et humide. Je baisse le bras, et le corps encore tressautant de la fille de joie s'affaisse, glisse contre le mur, y imprimant sa trâce sanglante. Dans mes doigts et sur la pierre, des morceaux de crâne, de cerveau, des cheveux rendus poisseux par le sang.
J'ai vécu des horreurs, mais tuer contre ma volonté, en ressentant la joie malsaine du monstre qui se cache dans mes entrailles, dépasse tout. A mon tour, je m'assois sur le sol, dos à la pierre, face au cadavre. Personne ne la cherchera. Le cadavre pourrira là, parmi les ordures, dévoré par les rats et la vermine. Une goutte sur ma joue. Le tonnerre gronde, éclate, et la pluie tombe enfin, recouvrant la ville de mes larmes.
Chapitre XVIII : Recherche
Le jour se lève, et me trouve toujours assis dans la ruelle, façe à la prositutée. Si seulement l'aube pouvait effacer les cauchemards de la nuit...
Mais je ne veux pas pourir là, moi aussi. Je me lève, enjambe le corps de quleques ivrognes qui n'ont pu retrouver leur foyer à temps. Tout bien considéré, c'est cette rue, leur foyer. Ils y vivent, y meurent.
Et cela, personne n'a le pouvoir de le changer à part eux même. Et que font-ils ? Ils dépensent toute leur paie en alcool, se vautrant dans leurs déjections.
La foule parcourant les rues et moins dense. Sa nature à changé. Ceux qui étaient là cette nuit cuvent leur vin. Ceux qui déambulent à présent sont ceux qui vont au marché... L'odeur de viande morte me parvient malgrès la distance. Ce n'est pas l'heure des chasseurs. Ne me reste qu'a attendre la nuit prochaine. Alors, comme un bête, je me cache, espèrant que personne ne sera assez fou pour me découvrir, et réveiller le démon. Une carcasse de maison brûlée me fournit l'abri désiré, et je songe, le temps que le jour passe.
Les odeurs changent. Le soleil décline enfin. Lorsqu'il se couche, le flot putride reprend ses droits. Je sors de ma cachette, à la recherche de quelque chose qui pourrait m'apporter une réponse. Une telle quantité d'or n'a pas pu passer inaperçue, même ici. Et un groupe de chasseurs aussi important doit être connu dans une ville comme celle-ci. Pourtant, personne n'en parle. Je me dirige vers les quartiers plus aisés, echappant à la foule. Elle se fait beaucoup plus rare ici. Plus enfarinée, moins grasse, moins crasseuse. Des nobles, faisant des fêtes de nobles. Je passe devant une villa, ou j'entends des airs de musique, des rires et des chants. Chacun fait la fête à sa manière, mais cela reste la même chose. Ivrognerie, luxure, perdition, que ce soit dans la soie ou la crasse. Je trouve enfin ce que je cherche. Au coin d'une rue, un marchand d'objets rares. Il faut bien qu'il se fournisse quelque part, il doit connaître ceux que je cherche. J'entre, explorant les vitrines du regard, mais la dague n'est pas là. Je pose ma question, avançant quelques pièces d'or sur le comptoir. Après un coup d'oeil expert, il empoche l'or mais ne répond pas. Quelques pièces de plus lui font oublier ses scrupules et ses hésitations.
Je ressort, à la recherche de l'auberge indiquée, qui est selon lui le repère des chasseurs de la ville. Un peu d'or bien placé accélère ma recherche. Le crâne de jeune dragon qui sert d'enseigne donne le ton. Ici, l'ambiance est plus aux conspirations, ventes clandestines et recrutement d'aventuriers qu'a la beuverie. Quoique... A mon entrée, un homme est debout sur une table, tentant de chanter tout en buvant le contenu de sa choppe, contenu dont la majorité se déverse sur son torse. Sur ses doigts, des bagues d'or. A sa ceinture, sa bourse est si rebondie qu'elle menace de craquer. Les hommes assis autour de "l'estrade" l'acclament et boivent à leur succès. A côté, les autres aventuriers font grise mine, où jouent les hypocrites en esperant se faire payer une tournée. Mon bras tremble, le démon meurt d'envie de les massacrer, lacérant mon âme de ses griffes qu'il voudrait sanglantes. Mais ce n'est pas la bonne méthode. Je le contrôle, pour le moment. Un pichet de vin m'aide à patienter, dans un coin de la salle. J'observe, j'écoute. Ce sont bien eux. Difficile de les manquer. Ils ont déjà revendu le gros de leur stock. Ils fêtent l'évenement. Une chasse aussi fructueuse est rare en ces temps de misère. La bière de mauvaise qualité coule à flots, inondant leur table, engluant leurs esprits dans le brouillard de la dépravation. Bientôt, un chasseur sort par la porte de derrière pour satisfaire un besoin naturel dans une ruelle avoisinante. Immediatement, je me lève et le suis. Grave erreur. Ses compagnons sont restés à l'affut, et j'ai à peine le temps de saisir ma victime que des mains se posent sur mes épaules et qu'une lame se glisse sous mon menton. Voila leur erreur. Le démon se réveille, et, pour une fois, je le laisse aller. Un des malfrats vole s'écraser contre un mur, l'autre se brise plusieurs côtes en tentant d'encaisser mon coup de poing. Un uppercut brise la machoire d'un autre et l'envoie dans un tas d'ordures. Ils sont nombreux, mais ils ont compris qu'ils avaient affaire à forte partie. Alors, les lames sortent, les épées brillent sous la lune. A mon tour, je dégaine Frostmourne, qui à on tour s'éveille après un très long sommeil. Elle aussi à faim.
Leurs épées ricochent contre la pierre derrière moi, tandis que j'esquive leurs coups. Je leur fait l'effet d'un fantôme, presque invisible dans l'ombre de ma cape. Mû autant par la peur que la haine, l'un se précipite sur moi et fini empalé sur ma lame. Frostmourne s'abreuve, absorbe avec un plaisir non dissimulé l'âme de l'homme. Je la dégage du cadavre, et elle chante, véritable déesse d'acier. Je danse avec la mort, possédé par les deux démons que je porte. Mais à cet instant, une intense douleur me perce le thorax. Cette lame n'est pas physique, elle est spirituelle. Je comprends que la dague à fait une autre victime. Mais le combat ne s'est pas arrêté avec moi, et cette fois ce qui me transperce est bien réel. La colère m'aveugle. Le démon a totalement pris le dessus. Il n'a cure de la discrétion, il fait dans le carnage. Avec horreur, je vois mon mana se concentrer sur mon poing, puis jaillir sur les chasseurs sous forme de flammes infernales. Rien n'échappe aux flux destructeur. Bientôt, les hommes sont au sol, carbonisés, dégageant une odeur écoeurante de chair brûlée. Qu'importe. J'ai senti la dague. Je sais où elle est.
Je retraverse la taverne, les flammes s'échappant de ma cape comme si j'étais fait de braises. Bientôt, elles courent sur le sol, dévorant avec avidité le bois sec dont est fait la moitié de la ville. Tant pis pour la discretion. Le démon veut la mort. Tout les clients de la taverne se vident bientôt de leur sang sur le sol, ou le nez sur leur table, broyés par ma poigne ou transpercés par ma lame. Je sors, tandis que derrière moi, s'écroule le bâtiment en feu. Mes pupilles s'éclairent d'une lueur rougeâtre par la possession du démon, la cape et l'épée couvertes de sang, j'apparaît au milieu de l'incendie comme une vision de cauchemard aux passants horrifiés. Les cendres noires me suivent en tourbillonant, cortège funèbre de mes victimes. Les flammes se propagent, gagnent les bâtiments avoisinnants, et les habitants se précipitent pour tenter de les arrêter, avant que le quartier tout entier ne parte en fumée. Aucune pluie ne viendra les aider.
Chapitre XIX : Apocalypse
Je m'éloigne dans les ombres, vers la dague. Vers ma délivrance. Les flammes de la colère continuent de se propager. Elles me suivent, comme si j'étais leur maître, sautant de maison en maison, carbonisant les toits de chaume avec férocité, éclairant mon chemin de leur lueur rougeâtre. Je ne vois plus que du rouge... Le sang qui me couvre, le sang qui coule dans mon sillage, le sang partout, le sang qui gicle à gros bouillon de la gorge de ce qui, mût par le désespoir, s'accrochent à moi, me suppliant d'arrêter l'incendie qui me suit, animal docile. Bientôt, c'est la ville entière qui brûle derrière moi, illuminant mes pas d'une lueur vive, laissant échapper une fumée aussi noire que la mort. Les cendres volent à présent, partout, transportées par le vent qui charrie aussi l'odeur de la chair grillée. L'odeur de la purification, l'odeur de la rédemption pour ces larves putrides qui croupissent dans leur crasse.
Les souvenirs m'envahissent, images de villes brûlantes, de forteresses incendiées, de bûchers funéraires... toujours la même odeur. Toujours la même sensation de chaleur, de puissance et de rage brute. Le feu me sert, car je sers la Mort. Il obéi, sans même que j'ai besoin d'ordonner. Visions cauchemardesques d'une apocalypse dans les flammes. Les cadavres que je laisse derrière moi sont rapidement consumés, ou devrais-je dire consommés, par le démon du feu qui me suit. Inconsciemment, je souris. Le démon a pris possession de moi. Mes yeux gardent une couleur rouge vive. Je suis fier de ces carnages. J'aime cette odeur. Je me sens vivant, parmi tous ces morts anonymes. Un bruit étrange retenti, sinistre. Je me rends compte qu'il vient de moi, que c'est mon rire. Ne laissant derrière moi que destruction, je ris, ou plutôt le démon, à travers moi, rit de mes actes, de ses actes. De cette destruction aveugle, irraisonnée, jouissive.
Un homme se jette sur moi, l'épée levée, prêt à l'abattre, guidé par le désespoir et la colère. Je tends la main, et referme les doigts sur la lame qui se brise net. Mon poing gauche se referme sur le col du malheureux, tandis que j'empoigne sa chevelure. Avec un craquement sinistre, je sépare tête et tronc dans un jet de sang, et lance le reste dans les flammes. Un escadron de gardes arrivant au galop pour tenter d'éteindre l'incendie me repère, et comprend que je suis le responsable. Il me dévisagent avec horreur, et courent à ma rencontre. Frostmourne jailli, et chante encore. La ballet s'engage, décisif, rapide, et mortel. Je suis transformé en bête furieuse. La Mort plane sur la ville.
Poussé par je ne sais quel instinct, je repère une haute tour à laquelle je monte, la vidant de ses occupants dont certains préfèrent sauté par la fenêtre plutôt que de m'affronter. D'en haut, la vue me frappe comme un coup de poing. D'un coup, la fureur s'en va, le démon se retire, et ne reste que moi, seul. Et enfin, je réalise. La nuit n'est plus. Les flammes montent jusqu'aux cieux, embrasant les nuages de leur lueur rougeâtre, voilant la lune de son haleine noire, plus noire que la nuit elle-même. Le bruit des bâtiments qui s'effondrent se mêle aux hurlements de ceux qui brûlent, en bas. Je peux presque voir les âmes s'élever, tourbillonner, perdues dans ce ciel d'apocalypse, se lamentant sur leur corps dont il ne reste déjà plus que des cendres... Mes poings se serrent sur le parapet de pierre, ultime garde-fou au dessus de cette ville qui n'est plus qu'une mer de flammes.
Pourquoi ? En vain, cette question me taraude, obsédante, entêtante. N'ais-je déjà pas fait assez ? Que dois-je encore prouver à ce Dieu qui, sans m'expliquer, me possède, m'utilise, se joue de moi ?
Une larme. L'orage éclate encore une fois, au dessus de la ville qui ne verra pas le soleil se lever. Je lève la tête, le regard perdu dans les nuages. Des gouttes s'écrasent sur mon visage, creusant des sillons dans le masque de sang séché qui me recouvre. Tristesse et lassitude s'emparent de moi, serres tranchantes de l'oiseau du malheur qui s'accroche brusquement à mon coeur. J'aurais pleuré, mais je n'ai plus de larmes, mort que je suis, voué à souffrir. Le sang qui me recouvre, le sang des vies innombrables que j'ai volé, glisse peu à peu, entraîné par l'eau claire à laquelle il se mêle, puis s'enfuit par un trou du parapet, bondissant dans le vide, abreuvant le sol noirci par les cendres, quelques dizaines de mètres en contrebas.
C'est ce moment que choisi le démon pour me rappeler, sournois, que la puissance a un prix. La douleur me traverse des pieds à la tête, irradie mon corps entier, à chaque fois plus insupportable. A genoux, les doigts enfoncés dans la pierre du parapet, les dents serrées à se briser, gémissant, je redécouvre les affres de ce que peut être la peur. La peur de cette sensation horrible, la peur qu'elle ne me quitte plus, s'accroche à moi, au point de ne plus me lâcher, de s'ancrer dans mon corps comme le parasite qui la provoque. J'hurle, seul, en haut de cette tour dominant l'apocalypse.
Chapitre XX : Destinée
J'aimerais mourir... Retrouver cette sensation de liberté que l'on éprouve lorsque l'âme se détache du corps. Malheureusement, la mort est le privilège des vivants. Je retire mes gants, et observe la peau se détacher lentement des chairs mortes. J'ai été élu, pour une raison mystérieuse, par ce dieu dont je ne sais rien. Et je dois, pour une cause que je ne connais pas, souffrir cette non-vie. Avec lassitude, je remets mon gant, cachant l'horreur qui trahit ma nature. Je me relève. L'incendie s'est calmé, noyé sous le froid déluge. A mes pieds, la ville n'est plus que ruines fumantes. Je monte sur le parapet, et me tiens debout, les pieds joints, face au ciel vide.
Oubli... Comme j'aimerais te trouver. Mon corps bascule, de lui-même, vers l'avant. Vers le vide, vers le néant que j'aimerais trouver, dans cette nuit sans fin. Pendant quelques instant, je sens l'air glisser sur mon visage, douce caresse... Ma cape noire flotte, forme comme des ailes dans mon sillage. Mais je ne peux trouver la paix. Je sens quelque chose qui m'appelle, qui me retient, qui refuse cela. Ce destin n'est pas le mien. J'ai encore des choses à accomplir, ou à détruire, sans savoir quoi. Il me faut avant tout retrouver cette dague, et détruire ce démon qui me ronge. Alors, je pourrai m'acquitter de ma tache, quelle qu'elle soit.
Je pivote rapidement, et atteins brutalement le sol. Mes pieds s'enfoncent de plusieurs centimètres dans la couche de cendres froides, et, dessous, la pierre. Je me redresse, reprends conscience de ce qui m'entoure. Des ruines vides, carcasses tristes, noircies. Le long des rues, d'autres ossement, humains cette fois. Carbonisés. Les chairs sont depuis longtemps parties en cendres. Cendres qui forment un couche humide et épaisse, partout. Recouvrant tout d'un voile noir et gluant. La neige des morts...
Plus rien ne vit, ici... Et plus rien ne vivra. Cette cité est à présent une ville maudite, ravagée par ce qui ne peut apparaître que comme un courroux divin. Les voyageurs repartiront aussitôt, craignant les fantômes, spectres et autres morts. Mais il n'y en a qu'un à craindre. Un seul qui soit responsable. Un seul qui puisse réellement faire du mal... Sans pouvoir s'en empêcher. Sans même le décider. Jai l'impression de n'être qu'une poupée entre les mains d'entités mystérieuses, maléfiques. Le destin me réserve bien des surprises. Mais j'en ai assez, des surprises. Elles sont toujours mauvaises.
Je déteste cette idée. Ne pas être maître de moi-même... Allez, marche. Marche vers ce destin que tu crains. Marche vers ce destin auquel tu ne pourra pas échapper. Un pas devant l'autre. Et cette couche de cendres dans laquelle je m'enfonce inexorablement, comme si les morts m'appelaient à eux, voulaient m'entraîner dans les profondeurs de l'enfer, pour se venger, me noyer sous leurs larmes, m'étouffer de leurs cendres, me frapper de leurs os... Et ce silence... Irréel. Même la pluie a cessé. Le monde entier semble en deuil. Un frisson me parcourt l'échine. Une présence, parmi les morts ? Un survivant ? Quelqu'un qui pourra narrer ce qu'il a vu ? Je lui fais face. Mais je ne vois que des ruines. Un ricanement, derrière moi.
Je sais maintenant qui vient me rendre visite. Lentement, je tourne la tête, et cette fois, j'aperçois celui à qui je dois tout. Un rayon de lumière perce les nuages, et se fixe sur lui, tandis qu'il replie ses ailes noires. Des ailes d'anges. Sa sombre cape ne laisse apercevoir que ses mains, serrant son éternelle faux. Une lame si tranchante qu'elle couperait même la pierre. Une lame suffisamment effilée pour couper n'importe quel fil de vie. Il me fixe, et tel un enfant pris sur le fait, je n'ose bouger, craignant le moindre de ses mouvements. Une force invisible me met à genoux. Un éclair, je vois la même scène, ailleurs, un autre temps, un autre lieu. Passé, futur, tout se mêle, tandis que l'ombre bouge enfin, s'approche d'un squelette carbonisé, adossé à un mur noirci. D'une main, il saisi le crâne, le détache, et le porte à hauteur de son visage. Quelle scène étrange... Le crâne regagne sa place. La capuche se tourne vers moi, tandis qu'une voix de tombeau sort de partout.
"Tu m'étonnes à chaque fois... J'ai beau connaître parfaitement ta valeur, je ne peux que m'émerveiller de la tournure que prend ton destin."
Geste évasif de la main qui ne tient pas la faux
"Cette force, cette puissance que tu ne peux déchaîner que sans le vouloir... Cela rajoute un peu de piment à toute cette histoire, tu ne trouves pas ?"
Rire de ces carnages... Je l'aurais frappé, si j'avais pu bouger ne serait-ce que d'un pas.
"Allons, ne te mets pas dans cet état. Il te reste beaucoup de chemin à parcourir, et tu viens seulement de trouver la bonne direction."
Le ton monte, fervent, en un crescendo théâtral.
"Continue dans cette voie, sois mon chevalier. Sois celui qui fauche les âmes, sois la terreur incarnée. Laisse toi guider, et tu atteindras, au bout, ta lumière."
J'essaye, dans un effort douloureux, d'articuler un
"Pourquoi ?"
Brusque changement d'intonation. La voix se fait moins forte, presque douce, caressante. La silhouette s'approche, et sa main prend mon menton, levant mon visage vers les ténèbres de la capuche. Ses doigts à la peau si blanche sont froids, froids comme la mort que j'ai en face de moi, la mort qui me possède et que je vis.
"Ce n'est pas encore le moment de te le dire. Dans un autre temps, un autre lieu, tu sauras."
L'espace d'une seconde, je crois apercevoir deux yeux fins, en amande, à la pupille d'un bleu de glace. Je vois presque son sourire, ses dents blanches parfaitement alignées.
Ses doigts quittent ma peau, tandis qu'il se redresse et recule, dans le rayon de lumière. Deux ailes noires, gigantesques, se déploient en contrejour, et enveloppent la silhouette, comme une seconde cape noire. Les plumes d'ébène se détachent, en même temps que ce qu'elles recouvrent. Et, bientôt, il n'y a plus rien devant moi. Le rayon s'élargi, me recouvre, éclaire toute la cité. Les nuages disparaissent, comme au sortir d'un mauvais rêve. Je me relève, enfin libéré, les yeux vers le ciel qui est à présent d'azur. Une curieuse sensation d'espoir m'envahit, et je sais d'instinct vers où marcher. De la cendre foulée, émerge une fleur, comme si de mes pas, je semais la nouvelle vie.
Chapitre XXI : Trolls
Serait-ce celà, mon destin ? Devenir le rédempteur de ce monde ? Être celui par qui arrive la mort, pour que la vie puisse ensuite reprendre ses droits... Exceptionnel, sans doute, mais loin d'être glorieux pour autant. Mes pas me conduisent en dehors de la ville. A l'extérieur des murs, je n'ai même pas à me demander où aller. Le vent se lève, me pousse, fait s'envoler la cendre froide qui se déploie en un panache au dessus de la cité dévastée, comme un voile pour masquer l'atrocité. Un oiseau chante, fête l'arrivée d'un nouveau jour. Comme si rien, cette nuit, ne s'était passé. Comme si tout cela faisait partie d'un vaste cycle, un cercle immuable guidant la vie de chacun, un destin pour un monde entier...
Mais qu'importe, je me sens léger, je veux, pour une fois, profiter de cette belle matinée. J'en ai assez de vouloir toujours trouver un sens à tout. J'enlève mes gants, et je me surprend à fermer les yeux, tendre les mains pour sentir les herbes hautes caresser ma peau. Les insectes chantent, la nature elle-même semble vouloir être heureuse en ce nouveau jour. Toujours guidé par mon mystérieux instinct, je pénètre dans une forêt, abandonnant derrière moi les champs et les ruines. Les rayons tamisés du soleil forment de curieuses arabesques à travers le feuillage. Au coeur de la voute verdoyante, de nombreux volatiles s'échangent leurs refrains. Je lève la tête, continuant à marcher dans le sous bois, laissant la calme douceur de la forêt m'envahir...
Un pas de trop. Le sol s'effondre, laisse passer mon pied, ma jambe, mon corps entier, et c'est impuissant que je me vois chûter à la rencontre d'un pieu vertical, aiguisé, menaçant. Le choc est rude, mes mains glissent, s'accrochent, par réflexe, à la chose qui s'enfonce dans mon ventre. Aucune douleur... Mais je suis piégé, impuissant, tandis que des trolls sortent des bois et se rassemblent autour du trou, me détaillant avec curiosité. Je ne suis pas le genre de proie qu'ils attendent. Quel drôle d'humain je dois faire, les cheveux blancs, ne perdant pas de sang. Dans ces régions reculées, que le Fléau n'a jamais atteint, les morts-vivants sont très rares. Tant mieux, cela me laisse l'avantage de la surprise. Alors je reste immobile, simulant la mort, attendant qu'ils me sortent de là.
Et, en effet, intrigués et voulant libérer le piège pour une nouvelle proie, c'est ce qu'ils font. A l'aide de cordes grossières, ils me hissent hors du trou, puis m'attachent, tel un gibier, à une perche qu'ils portent, horizontale, sur plusieurs épaules. Poussé par la curiosité, je me laisse faire. Ballotés au rythme de leur pas souple et rapide, je devine aisémment notre destination : leur village. Comptent-ils me faire rotir comme un vulgaire gnoll ? Qu'importe, nous verrons.
Les bruits de la forêt s'atténue, tandis que je reconnais l'odeur caractéristique d'un village indigène. Mélange de feu, de viande grillée, de déjections... Les premices de la civilisation. On me dépose au sol. J'intrigue les trolls, qui n'ont pas vu de morts-vivants depuis des siècles. Ils me reniflent, me tâtent, échangent des grognements interrogateurs. Je comprends qu'ils appellent leur chaman, qui est aussi leur sage, leur chef, et leur doyen. Leur structure sociale est bien plus évoluée que l'on ne pourrait s'y attendre...
Tout à mes réflexions, je m'aperçois à peine qu'on me retire mon armure, alors que je feins toujours la mort. Le sorcier arrive enfin. Il m'ausculte, fouille la blessure qui me perce le ventre. Il apose ses mains sur mon front, puis s'écarte brusquement, effrayé. Dans un état d'excitation extrème, il s'empresse d'allumer des brûlots qu'il disperse à intervalles réguliers autour de ma dépouille, tout en creusant dans la terre humide de curieuses runes à l'aide d'un long poignard que je devine être un objet de cérémonie. Tout cela en incantant d'une voix grave, sous le regard de ses congénères, emplis de crainte mystique, curieux mais aussi un peu effrayés par l'inconnu.
Les tambours se mettent à battre... Non pour la guerre, mais pour accompagner le prêtre, qui s'est dressé, les bras écartés, bien campés sur ses jambes, et qui continue à incanter, appelant à lui des forces dont l'origine s'est perdu dans les âges primitifs.
Le sorcier se tait, s'agenouille au-dessus de moi, rassemble ses mains griffues sur la garde du poignard ouvragé. Les tambours battent désormais à un rythme effréné, faisant songer à un coeur qui s'affole. Les bras du troll s'abaissent, et la lame sacrificielle s'enfonce dans mon propre coeur, qui, lui, ne bat plus depuis longtemps. J'ai à peine conscience de ce qu'il se passe. Je sens que des forces magiques dont je ne connais pas la nature se transmettent le long des bras de mon bourreau, pénètrent en moi par la lame du poignard, se répandent dans mon corps... Les ténèbres m'envahissent... Je perds conscience.
Chapitre XXII : Âme
Un trou noir, s’ouvre sous mon corps meurtri, et je plonge, plonge, sans pouvoir me raccrocher, immobile, anéanti, je plonge, dans ce noir qui m’englouti…
Pour l’éternité, ou quelques secondes ? L’obscurité semble prendre vie autour de moi, se meut, s’affole, me touche, me caresse de sa froideur infinie, essaye de deviner qui je suis.
Je vois des lumières qui tourbillonnent, loin au dessus de moi… Des étoiles ? Des étoiles qui tournent ? Où suis-je ?
La lumière est rouge, glauque, menaçante. La couleur du sang. La couleur que je finis par craindre. Cette couleur maudite… Un couloir au mur peint de sang. Des pierres qui suintent du sang. Un plafond infini, perdu dans l’obscurité, qui pleure du sang. Il pleut du sang… J’avance dans le couloir, alors que le niveau monte, vite, vite, de plus en plus vite. Le couloir ne fini pas… Et m’englouti.
Encore une fois, je tombe, mais cette fois, tout est rouge, tout tombe autour de moi… Je vois des os qui tombent, des cadavres, la tête en bas, qui me sourient, d’autres qui me maudissent, tous devenus des abominations au rictus effrayant. Ils me saluent. Me détestent. Se réjouissent de ma chute sans fin, sans commencement, sans pesanteur, sans repères…
Un immense battement. Une pulsation qui fait vibrer le moindre mes os. Une pulsation qui rythme la pluie de sang qui m’entoure, m’accompagne dans ma chute, recouvrant les têtes grimaçantes qui m’offrent leur ultime regard, après m’avoir donné leur vie. Innombrables…
Un cœur ? Un cœur immense qui bat ?
Non. La pulsation s’arrête. S’éteint. Se meurent. Atour de moi, tout devient gris. Une tristesse infinie se peint partout. La lumière faibli. Les étoiles tombent en sifflant, minuscules, brillantes comme des soleils, hurlantes autour de moi, m’accompagnent à leur tour dans ma chute. Des âmes… Des âmes que j’ai soufflées, des âmes qui se sont envolées par ma faute.
Un mot vient se plaquer sur mon esprit impuissant. Mort. La mort par dizaines, par centaines, par milliers, par millions. Les âmes pleuvent. Les âmes pleurent. Le gris devient noir. Je suis allongé sur un sol dur. Mes yeux s’ouvrent, et je vois un ciel noir, noir et rouge, du noir de la nuit, sans étoiles, rouge de la flamme. Cette flamme qui danse au dessus de moi, cette flamme qui consume les hommes, cette flamme qui brûle les villes, cette flamme qui éclipse les étoiles, cette flamme gigantesque qui jamais ne s’éteint.
Une ombre se penche sur moi. Un crâne, encore un. Non… Un visage d’homme. Un visage d’ange triste. Un visage fin, blanc, aux yeux de glace, exprimant une froideur infinie. La froideur de la Mort. De longs cheveux blancs qui s’échappent de sa capuche d’ombre… Des cheveux qui s’étirent, s’étendent, deviennent monstrueux, m’entourent, me serrent, me portent, tandis que le visage grandit, lui aussi, rempli ma vue, devient le ciel, devient le monde. Les cheveux me recouvrent d’un linceul blanc, m’immobilisent, me recouvrent entièrement. Des cheveux qui se transforment en deux bras fins et blancs, deux bras de femme, une femme dont j’entrevois le visage, une femme qui m’apparaît immense. Une femme au visage digne, royal. Une femme qui pleure. Une femme à la douceur infinie. Une femme triste, une femme qui me berce… Une femme qui se transforme brusquement. Ses épaules s’élargissent, se recouvrent d’acier. Son visage lisse est remplacé par le visage brut d’un guerrier aux yeux de feu. Les bras qui me tenaient se transforment en une lame, une épée dont je tiens la garde, une épée le long de laquelle coule un liquide épais et rouge, une épée couverte de sang, du sang provenant du ventre de l’homme en face de moi, de l‘homme que je reconnaît comme mon père. De l’homme qui ne m’a pas élevé. De l’homme qui s‘est avéré mon premier ennemi, et ce depuis ma naissance. De l’homme que j‘ai tué. Son regard est furieux, brûlant, vaniteux. Comme s’il ne voulait croire à sa propre défaite… Comme s’il n’acceptait pas d’être dépassé par cette chose sortie du ventre de sa femme. Brusquement, son regard change. Devient infiniment triste. D’un geste d’une lenteur inconcevable, il lève ses bras vers moi. Ses mains couvertes de son propre sang. Ses mains qu’il tend, comme pour m’attraper. Son sang bouillonne, s’échappe à flot de la blessure. Il bouge, s’avance vers moi, s’enfonce un peu plus sur la lame. Le sang sort à présent par sa bouche, ses yeux gardant leur expression triste. Implorante. Aimante, presque. Une expression que je ne lui ai jamais connue. J’essaye de me libérer, de me démener. Je ne veux pas qu’il me touche. J’essaye d’échapper au fantôme de ma jeunesse. Le fantôme de ma haine. Mais rien ni fait, mes mains restent désespérément agrippée à la garde de l’épée, garde bientôt rejointe par le ventre du guerrier. Son sang me ruisselle à présent sur els mains, tandis que les siennes se posent avec lourdeur sur mes épaules, toujours dans ce même mouvement tellement lent qu’il semble ne jamais se finir. Sa bouche remplie de sang, ses dents rouges de ce même sang, s’ouvre, se découvre, pour lâcher dans un dernier souffle des paroles que jamais il n’avait pu prononcer.
« Tu m’as déçu, fils… »
Tout à mon horreur, je fixe ce visage qui, encore, se transforme, se déforme, prend de nouveaux traits. Les traits de l’homme aux cheveux blancs et aux yeux froids. Lui, me fixe avec une autre expression. Son regard transperce mon âme comme s’il était fait d’acier. Je baisse le regard, t c’est désormais lui qui me transperce. Lui qui tient une épée, que je reconnais comme Frostmourne, et qui me perce, me transperce, le poitrail, faisant fi de mon armure, fracassée par le pouvoir de la lame démoniaque. Par elle, un grand froid m’envahi… J’observe ce visage, qui, je le remarque maintenant, ressemble tant au mien. Lui aussi ouvre la bouche pour prononcer des paroles que je n’ai jamais entendue, que je n’entendrais jamais.
« Toujours mieux, fils… »
Que veut-il dire ? Moi, son fils ? Mes questions se perdent dans les méandres de mon esprit torturé par la lame qui fouille mon âme, par ce regard qui déchiquette mes entrailles. De sa bouche sans fond, entre ses dents parfaitement blanches, d’entre ses lèvres fines et marbrées, les mots vivent, se transforment en une fumée noire. Fumée qui m’enveloppe, me dévore, me recouvre encore…
Et la chute reprend, infinie, encore, toujours… Je vois des images que je ne connais pas. Des images que je n’ai jamais vues. Des images de ce qui sera. De ce que je serai. De ce que je ferai. Des images de mon futur, de mes futurs… Je vois, je tombe, je vois des hommes, je vois des taurens, je vois un elfe à l’unique main, je vois un ange de lumière, je vois des dragons, je vois des ombres, beaucoup d’ombres… Je vois des batailles, je vois des morts, toujours la mort, encore et toujours des morts, des cadavres, du sang, toujours du sang…
Une goutte de sang, qui coule sur une peau parfaite et satinée. Une goutte vermeille qui paraît une insulte à la perfection de cette jambe qu’elle marque d’une cicatrice brûlante. La peau d’une elfe, la peau d’un ange, la peau d’un être hybride, la peau d’une créature unique, aux cheveux de lumière…
La goutte ralentit, grossit, puis repart, rapide, coule, coule sur cette jambe qui n‘en finit pas. Cette goutte qui chute, reflétant la lumière d’un visage marqué par la douleur. Cette goutte qui atterrit sur un lit de plumes, des plumes d’un or chatoyant, des plumes d’un noir de ténèbres, des plumes d’une douceur sans pareille, des plumes d’un amour fou et interdit. La goutte grossit, explose, forme un corps, une tête, des bras, une chose mouvante, hurlante, pleurante.
Sous l’impacte, les plumes s’envolent, comme autant de volatiles affolés. Volent, tourbillonnent, les plumes… Elles tombent vers le haut de cet univers fou. Les plumes noires s’organisent, deviennent une aile, deux ailes, un homme, toujours le même homme au regard de glace, cet homme qui n’en est pas un, cet être de noirceur, cet être de glace, qui tend une main blanche et fine vers l’enfant qui se forme, toujours changeant, masse sans contour défini, bouillon de vie à l’état brut. Les plumes dorées s’organisent elles aussi, deviennent une femme à la beauté particulière, lumineuse, plus encore que la précédente. Une expression de sagesse et de douceur peinte sur son visage, elle aussi tend la main vers la chose. Les deux mains l’atteignent au même moment, l’une répandant le froid de la mort, l’autre la chaleur de l’amour. Et de cette formidable alchimie, impossible, fait naître les contours de la chose qui s’illumine d’un feu intérieur, devient une flamme, un bûcher immense qui fait disparaître les deux êtres, une flamme qui m’engloutit, me brûle, me détruit encore une fois.
Et, une fois de plus, je tombe, tombe… cela n’aura-t-il jamais de fin ? Ha, du nouveau. Une formidable lumière m’environne, me porte. La lumière blanche, pure... Qu’on ne peut rapporter qu’à la vie, la justice. La pureté des âmes, enfouie loin derrière les meurtres, les regrets, les fantasmes, le passé… Je suis debout sur un sol invisible. Porté par un rayon de lumière… L’univers est d’un blanc parfait… J’y suis seul, désespérément seul. Enfin maître de mes mouvements, je me tourne pour observer le reste de cet espace sans limites. Blanc, partout… Sauf une chose. Une chose qui s’étale sur le sol, nulle part et partout à la fois. Mon ombre, fidèle, intangible… Qui, cette fois, se rebelle. Elle bouge, sans que je n’aie esquissé un geste. Elle se détache, et mon regard la suit avec horreur. Elle s’affirme, devient créature, matérielle, noire, faisant tache dans cet univers immaculé. Et la forme qu’elle prend…
C’est moi-même. Je reconnais l’armure. Je remarque la dague plantée dans mon cœur. Dans son cœur. Son regard de braise… Mon regard de feu. Qui ? N’importe. Il tire son épée. Mon épée. Frostmourne et sa sœur jumelle. Inconcevable… Les deux lames se heurtent avec un gémissement strident. Des visions passent, s’affolent, devant mon regard qui ne sait plus où porter. Je me vois sous une pluie battante, sur une immense stèle de pierre, ma battant contre un autre adversaire, un démon aux yeux de feu, aux cornes noires, à l’épée gigantesque…
Tout cela me perturbe. Par automatisme, je riposte, esquive, me fend, recule, me bats avec une énergie qui semble inépuisable. Parallèlement, je me bats contre cet autre ennemi, sombre lui aussi. Les deux lames s’enfoncent en moi au même moment… encore. Mais à quoi sert donc cette armure ? Les deux adversaires, sur des plans différents, me fixent d’un regard narquois. Je chasse la vision du démon, me concentre sur mon ombre. Je ne sens rien. Je suis mort. Ma lame se lève, s’enfonce à son tour dans le ventre de l’autre moi. Douleur. Pourquoi ? L’autre sourit. Moi aussi. Que fait-on, à présent ?
La rage. La folie. Qu’est ce qui fait la différence ? Dans un éclair, je comprends ce qui se trouve en face de moi. Le démon de la dague… Moi ? Mon être ? Non. La colère m’envahit. Je suis autre. Je ne suis pas cela. La haine se propage, feu éternel, dans la lame qui transperce l’ombre. Mais cela ne la tue pas… Au contraire, elle semble se renforcer, sourit un peu plus devant mon désarroi. Elle retire sa lame de mon corps, et je fais de même. Chacun se prépare à assener un autre coup à son double, levant haut les lames jumelles.
Non. Je réalise un peu plus. Tout ceci n’a pas de sens. L’issue elle-même ne doit pas être si simple. Je détourne sa lame, recule. Non. Je perce sa garde, m’approche dangereusement. Lui aussi me perce, encore. Ma main agrippe la dague plantée dans son cœur. Dans nos cœurs. Il cesse de sourire, je commence seulement. Violemment, je retire l’arme. La blessure béante laisse échapper un flot de noirceur, un nuage sombre de sang démoniaque qui asperge le sol blanc. Son corps redevient intangible, change, se transforme… J’ai devant moi un véritable démon. Indescriptible, sa gueule bardée de crocs s’ouvre comme pour me happer. Je recule, mes doigts serrés autour de la cause de tout ceci. L’ombre redevient l’ombre, se fond, disparaît, ne fait plus qu’un avec le sol… Il n’est pas mort. Mais je suis tranquille, au moins pour un temps…
Mes jambes ne me tiennent plus. Le sol s’évanouit sous moi, et je reprend ma chute interminable, dans le noir, le noir le plus profond… Mais dénué d’ombre.
Chapitre XXIII : Eveil
La nuit… S’éclaire enfin. Au bout du tunnel, la lumière m’apparaît, prometteuse, salvatrice, blanche, pure à en pleurer… Je monte, remonte vers cet astre qui m’attire, m’appelle, comme si je ne pouvais aller ailleurs, comme s’il ne pouvait en être autrement. Elle envahi mon être…
J’ouvre les yeux. Au dessus de moi, un plafond fait de branches attend sagement mon réveil, me protégeant des cruels rayons du soleil. Ceux-ci passent tout de même, isolés, jouent avec la poussière en suspension dans cet air confiné… Les particules dorées s’agitent, frémissent, tandis que le moindre de mes mouvements les fait s’affoler, comme autant de petits insectes affolés.
Aux murs, des masques aux motifs complexes et colorés me fixent de leurs yeux vides, me jugent de leurs bouches muettes et de leurs regards menaçants. Le rêve me revient, confus, aussi fou que ce que l’âme humaine peut imaginer de pire. Les rares détails qui subsistent dans mon esprit embrumé sont suffisamment horribles pour ne pas me donner l’envie de me remémorer le reste. Il y a des pensées qu’il faut parfois occulter… Par réflexe, je pose ma main sur mon front. Froid… Evidemment. Je suis mort.
Avec cette constatation reviennent tous le souvenirs des jours précédents. Cruel tourment d’une âme éternelle, condamnée à se souvenir de tout. Tout les crimes, tout les meurtres, toutes les batailles… toutes ces âmes éternellement maudites par ma folie…
Je ferme les yeux. Ma main descend, passe sur mon torse. La Dague, le poignard du sage… Chacun à laissé sa marque indélébile dans mon corps inerte. Plus bas… Un vide angoissant. Le pieu, lui aussi, m’a marqué d’une cicatrice… Un trou dans lequel passe aisément ma main, pour aller toucher la couche sur laquelle je suis allongé… Il a manqué ma colonne vertébrale, ainsi que els cotes. Seuls les vestiges de mes organes abdominaux ont été atteints… Coup de chance. J’ai beau être mort, avec quelques vertèbres en moins, j’aurais nettement plus de mal à me déplacer… Enfin, l’essentiel est encore là.
Aussi silencieusement qu’un courant d’air, le vieux sage entre dans la hutte, et s’aperçoit que j‘ai émergé des brumes du sommeil. Un instant, une question me vient. Comme puis-je dormir, alors que je suis mort ? Il m’a sans doute plongé dans un coma magique… Ce qui impliquerait que le rêve aussi était de nature magique… Et donc que ça avait sûrement plus d’importance qu’un simple songe ? Les implications de tout ceci me tétanisent. Je préfère ne pas y penser, et me concentrer sur le troll qui m’approche. Aussi doucement, calmement qu’il le peut, il se penche sur moi, espérant ne pas attiser ma colère.
Sans fioritures, je lui demande ce qu’il m’a fait. Dans un langage approximatif aux accents gutturaux, il essayer de m’expliquer qu’il a senti le démon en moi, et qu’il a fait ce qu’il a u pour m’aider. Je lui demande de quelle manière, ce à quoi il me répond qu’il m’a donné la force de le vaincre… Je comprends alors la dernière scène de mon rêve. Vaincu, le démon ? Non, seulement emprisonné, affaibli, m’apprend-t-il. Jusqu'à la destruction de son support, la Dague qui ‘ma transpercé, il me hantera, provoquant les crises de folies qui me déchirent l’âme… Avec plus ou moins de force et de fréquence, selon l’état dans lequel il sera. Grâce à l’aide du sorcier, je suis à l’abri de ces crises pour plusieurs siècles, selon lui… Je n’ai rien à perdre a le croire.
C’est alors que je vois la lueur d’espoir dans le regard du vieux sage. Y a-t-il un prix à payer ? Oui, une mission à remplir… Comprenant que j’ai besoin d’explication, il s’assoit à même le sol, et, de son langage haché par le manque de vocabulaire et l’absence de pratique, il me narre une incroyable histoire : il y a plusieurs siècles de cela, alors qu’il n’était encore qu’un enfant, un ange apparut dans son village et se présenta comme le messager de la victoire. Il fit alors une série de prédictions sur le futur de la tribu, qui s’avérèrent toutes exactes, dans leurs moindres détails… Des catastrophes naturelles, jusqu'à l’anéantissement de la Horde dans la grande guerre… Conflit dont évidemment, j’étais l’instigateur. Il parle de cette période avec une sainte colère, et j’évite donc de mentionner ce fait. Au contraire, je lui demande ce que tout cela a comme rapport avec moi-même. Mais, déjà, je devine l’identité de cet ange annonciateur de Mort…
C’est donc sans grande surprise que le troll m’apprend que ma venue faisait partie des prédictions… Thanatos avait donc tout prévu, depuis des siècles… Son plan marchait à merveille, et, comme un bon rouage bien huilé, je suivais le mouvement sans poser de problème… Mais la prédiction ne s’arrête pas là. Ma venue, pour la tribu, est ce qui doit lui arriver de mieux. Je dois prendre les commandes des guerriers trolls, réunifier la Horde, et la mener vers la victoire dans une croisade vengeresse contre l’Alliance se reposant sur ses lauriers. Joli programme… L’ampleur de ma tache ne me fait pas vraiment peur. Après tout, j’ai toute l’éternité pour ça…