Chapitre 9 : La forêt noire
La pleine lune seconde. Il s'agit de la phase où la seconde lune, celle qui apparaît plus petite des deux lunes de ce monde, est pleine. Aujourd'hui même pleine elle ne suffit pas à éclairer le chemin de la forêt noire. Ce chemin est plutôt étroit, il suffirait à peine à laisser passer un carriole à la fois. Du moins sans précipiter celle qui voudrait la croiser dans les bas côtés. Il était autrefois composé de gravier, aujourd'hui la boue est bien plus présente que la caillasse et, par endroit, la végétation elle même a reprit ses droits. La veille, la petite troupe avait même croisé un chêne qui devait bien avoir une soixantaine d'années et qui se trouvait planté en plein cœur du tracé de la route.
La végétation, par ailleurs, avait été plutôt habituelle lorsqu'ils étaient entrés dans les bois. Aux forêts de chênes, avaient succédés des forêts de bouleaux puis de pins et autres résineux, et sans qu'ils s'en rendent compte le groupe s'étaient retrouvé coupé de la lumière du soleil de part ces arbres toujours plus resserrés. Maintenant la végétation était inconnue pour Rickard Perlander et il voyait bien que Ser Gowan, en dépit de l'apparence sûr de lui qu'il voulait se donner, était lui aussi hésitant en avançant dans les bois.
La femme en tenue de combat noire, qui s'était présentée à lui sous le nom de Lleyane à la suite de leur fuite de Haute-Marée, elle aussi ne semblait pas très à l'aise dans cette environnement. Pourtant c'était bien elle qui avait insisté pour prendre cette route. Rickard les avait entendus, elle et Ser Gowan, parler de vive voix tandis que, pensaient-ils, lui dormait.
« La voie sombre, au cœur de la forêt, est la seule route que nous puissions prendre. » Disait-elle.
« C'est faux, il y a trois autres chemins possibles pour Thorg Réal, outre la voie royale un chemin passe par le col brumeux et nous pouvons prendre un navire dans n'importe lequel des villages environnants. Ces villages ne soutiennent certainement pas Sal-Thorg.
- Vous savez comme moi que c'est impossible chevalier. » Trancha le femme elfe derechef. Sal-Thorg a assurément dû envoyé des hommes à lui sur la voie royale comme au col brumeux, quand aux paysans et pêcheurs du coin leur fidélité ne dépassera pas quelques pièces d'or, et promesses juteuses et nous n'avons pas les moyens de verser autant que Sal-Thorg. La forêt n'est pas sûre mais elle conduit au sud, vers Thorg-Réal, et nul des manants de Sal-Thorg n'oserait entrer dans "la forêt maléfique" » Conclut-elle avec un souverain méprit dans la voix.
« La forêt est sauvage depuis des siècles...
- Votre peuple a chassé le miens qui vivaient dans ces sombres forêts depuis des millénaires, c'est par votre faute qu'elles ne sont plus sûres, mais elles restent nos terres légitimes, mes terres ! » Rétorqua encore la femme.
Tout était dit, et les trois voyageurs avaient reprit la route à la nuit tombée, sortis de la crevasse où ils avaient passé la journée afin de ne pas se faire remarquer. Avant l'aube la forêt était devant eux.
Après quelques jours de marche, jours et nuits n'étaient plus guère discernables sous le couvert des sombres feuillages.
Le groupe avait, à la sortie du souterrain par lequel ils s'étaient enfuis de Haute-Marée, trouvés un poney et deux chevaux de course préparés par Lleyane à l'intention de leur fuite. Trois chevaux en fait, car elle ne savait combien pourraient se joindre à eux avant de se lancer dans l'aventure, mais ils ne prirent pas le temps d'harnacher le troisième à leur suite. Malheureusement cette fuite avait été rapidement interrompue par une dizaine d'hommes en armes, probablement membres de l'arrière garde de Sal-Thorg, et aux affrontements qui suivirent seul le poney que montait Rickard, non impliqué directement dans le combat, survécus. Les montures de Ser Gowan et Lleyane furent tués respectivement par une lance lors de sa tentative de charge et des suites des flèches reçues lors de la fuite de la seconde. Les chevaux de leurs adversaires vaincus au combat, eux, ne purent être pris dans la précipitation. Contraints à la marche, le poney portant le peu de provision qu'il restait de ce qu'avait préparé Lleyane, le groupe se reposait donc lors que la fatigue se faisait ressentir. Ils ne pouvaient toutefois pas se permettre de se reposer à chaque fois que le jeune Perlander avouait être faible, sans quoi ils ne seraient pas sortis de la forêt avant l'épuisement de leurs réserves, et les contes que Rickard avait entendus enfant sur la forêt où il se trouvait ne lui donnaient guère envie de mettre les pieds hors du chemin, à la recherche de gibier. D'ailleurs pas même le valeureux Ser Gowan ne proposait pareille option et il ménageait sa part de ration.
La forêt sombre, ou noire, est l'un des berceaux historiques des elfes noirs. C'est en fait le seul lieu où ces derniers vécurent qui soit directement en contact avec le monde des humains, ce qui en fit un havre de paix de de commerce entre les deux peuples... Pendant de longs siècles. Mais petit à petit les relations entre les deux peuple se détériorèrent. La première cause est bien sûr la désapprobation de ces liens par les elfes de lumière, elfes qui combattirent aux côtés des humains de nombreuses fois quand les elfes de l'ombre, eux, restaient sous le couvert des arbres isolés. Très probablement, les elfes de lumière firent pression sur certains seigneurs des royaumes humains afin qu'ils coupent leurs contact avec les elfes de l'ombres. Certains seigneurs étaient aussi jaloux des richesses et des connaissances du peuple de la forêt, peuple qui était nettement plus avancé que les humain dans les traitements médicaux à base de plantes comme dans la forge de métaux d'une qualité extraordinaire. Des contes apparurent, des légendes de même. Les animaux de la forêt noire, différents de ceux du reste de Parlansia, furent considérés comme des monstres tueurs d'enfants et autres sornettes de sorte que, finalement, des humains osèrent dépasser l'orée de la forêt et entrer dans les terres des elfes noirs. Les elfes sombres répliquèrent en renvoyant les têtes des hommes qui avaient pénétré leurs terres aux seigneurs humains incriminés et ce fut la guerre. Les elfes noirs, ne voulant pas sortir de leurs forêts pour combattre, et voulant éviter que la vie ne soit menacé autour d'eux, choisirent de s'exiler au nord de Parlansia. Comme on le sait, peu d'elfes noirs reviennent du nord aujourd'hui.
Après un temps de sommeil, temps qu'il ne pouvait déterminé, Rickard s'éveilla. Le ronflements durs du chevalier s'entendaient un peu plus loin, adossé qu'il était à un arbre sombre, sombre comme tout ce qui les entourait d'ailleurs. Il leur fallait des torches pour cheminer sans risques dans la forêt. De l'autre côté de leur campement un souffle au contraire léger se faisait entendre, celui de Lleyane.
Elle était toujours calme et polie quand elle lui parlait. D'abord évasive à ce sujet, elle avait finie par lui en dire plus sur sa présence dans la citadelle et sur son aide. Elle avait entendus des rumeurs obscures et pensé que sauver un prince était une bonne occasion de trouver rançon plus élevée auprès du roi son père que nul autre travail. Rickard ne pouvait se résoudre à croire que telles furent ses seules motivations, toujours est-il que Ser Gowan la considérait comme tel, une mercenaire, et ne tolérait sa présence qu'à la manière d'une nécessité dans le but de mettre le jeune seigneur en sécurité.
Après quelques instants Rickard prit conscience d'une lumière. La forêt n'étaient plus si obscure tout à coup, une lueur éclairait son visage. Relevant ses couvertures il regarda autour de lui, l'éclair lumineux venait de la droite du chemin, au loin, on eu dit un feu... Mais en plus lumineux. Aucune logique, aucun raisonnement, ne pouvait plus le toucher. Et il se mit à marcher vers la source de son attention après avoir juste ceint l'épée d'acier qu'il avait obtenus des mains de Ser Gowan, suite à leur fuite.
La lumière semblait toujours plus lointaine tandis qu'il avançait, stoppé régulièrement par les ronces et la végétation abondante de cette profondeur de la forêt. Pourtant lors qu'il s'effondrait au sol, le pied dans une racine, ce fut comme si la lumière l'attendait et il se relevait pour courir de plus belle dans sa direction.
Finalement la lueur s'immobilisa. Encouragé dans sa poursuite, Rickard approcha pour découvrir une clairière. Le ciel se distinguait à nouveau, un ciel étoilé et les deux lunes, deux lunes d'une étrange lueur rouge qu'il ne leur connaissait pas. Au centre de la clairière se tenait une jeune femme, une femme magnifique. Elle devait mesurer à peu prêt cinq pieds, soit un peu plus petite que Rickard, mais était apparemment légèrement plus âgée que lui. Blonde, des yeux bleu azur remarqua le jeune prince en avançant, mouvement qu'il ne se sentait pas même faire alors qu'il était pourtant fourbu. La jeune femme portait une simple toile fine qui masquait sa pudeur et l'un de ses seins, de taille modeste mais beaux, le reste de son corps dénudé. Ses pieds nues étaient posés sur un sol qui semblait fait de marbre tandis qu'elle se tenait au dessus d'une table.
Levant la tête tandis que Rickard arrivait à elle, elle lui désigna la table, et le prince remarqua qu'elle était couverte de mets succulents. Viandes de chevreuil, de sanglier et d'ours accompagnés de fruits de mers qu'il se savait reconnaître, il y avait là des sauces de diverses couleurs accompagnés de champignons. Une écuelle était emplie d'un saumon cuit qui reposait sur des céréales, saumon dont le fumet était couvert par celui du pain tout juste sortis des fours qui se trouvait à côté de lui.
La jeune femme fit un mouvement lui indiquant de se servir tandis qu'elle s'asseyait dans un fauteuil de branchages que Rickard n'avait pas perçu jusque là. Et Rickard se jeta sur la nourriture aussi avidement que s'il n'avait pas mangé depuis des mois. Son estomac qui avait du se contenter de maigres nourritures plusieurs jours de marche durant ne pouvait pas tenir face à cette tentation. Il avala derechef une pomme qui trainait pas là, avant de se saisir d'une cuisse de poulet dans laquelle il planta ses dents avec force, tout en tournant autour de la table pour chercher ce qui ferait sa prochaine bouchée. Il ne remarqua que trop tard le mouvement dans son dos, et une griffure soudaine à la taille lui tira un hurlement. Son surcot fut tranché en deux le long de son dos, et son sang commença à se déverser dans l'eau qu'il l'entourait. L'eau...
Il était maintenant entrain de se débattre dans une eau boueuse, emplie d'algues diverses au cœur de la nuit. Le buffet, la table, le sol de marbre... Disparus. Il restait la clairière et les lunes rouges, lunes qui éclairaient non pas une jeune femme mais une créature longue, de couleur mêlant plusieurs ton de verts et aux ailes de chauves souris. Un dragon, fut le premier réflexe de Rickard tandis qu'il esquivait douloureusement la frappe d'une des pattes de la bête, en tentant vainement de l'atteindre d'un revers de son épée. Mais la bête arracha bientôt son épée d'un coup de mâchoire, perforant ce faisant sa main droite. Et Rickard se rendit compte que la bête était trop petite pour être un dragon de ces légendes. La créature avait gardé la taille de la jeune fille, et ne disposait pas de membres antérieurs. Une vouivre.
Un coup violent à sa taille fit saigner sa blessure dans le dos de plus belle et le jeune homme s'effondra une nouvelle fois dans la nasse marécageuse, trop affaiblit tant pas les coups du monstre que par le manque de nourriture. La vouivre lança alors une sorte de crie de victoire et se jeta mâchoire en avant vers le nuque de son déjeuner.
Sa mâchoire ne se referma toutefois non pas sur la nuque frêle du garçon mais sur le torse solide d'un homme adulte, et Ser Gowan s'effondra à son tour dans l'eau sale. Rickard observa alors la manière dont Lleyane se jeta à l'assaut de la vouivre à l'aide de la simple pique qu'elle avait employé jusque là pour la marche. Quelques griffures et tâches de sangs eurent beau apparaitre, bientôt, sur son vêtement sombre, sa lance de fortune ne finit pas moins par se trouver en travers de la gorge du reptile. La vouivre s'effondra dans un grondement rauque, l'eau l'environnant prit une couleur bleu-violette tandis que le sang vicié de la créature s'y déversait.
Après quelques minutes de recherches, Lleyane revint au garçon et au chevalier pour leur dire qu'il était impossible de retrouver le chemin. C'était comme si la forêt avait avalé les traces de leurs passages, il leur faudrait se passer de leur poney, des vivres qu'il transportait comme des herbes qui s'y trouvaient. Il leur fallait se soigner dans la clairière. Lleyane tapissa le dos et le torse de Rickard d'herbes et d'une substance collante qu'elle sortie d'une fleure bleu qui poussait à proximité de l'eau marécageuse. Elle lui conseilla de ne pas faire de mouvement brusque afin de permettre à la blessure de cicatriser rapidement, elle n'était heureusement pas profonde.
La morsure de la vouivre au torse de Ser Gowan était une autre histoire. Le coup qu'il avait prit était destiné à être le dernier porté à la proie du monstre, et les vouivres avaient pour habitude de mêler à leurs coups finals un poison qu'elle secrétaient naturellement et pouvait faire couler à volonté le long de leurs dents en pointe. La première morsure, à la main de Rickard n'étaient, par chance, pas enduite de poison. La seconde l'était, et Ser Gowan en avait fait les frais. De l'aveu de Lleyane une seule herbe avait été trouvé, il y a des siècles, par son peuple pour guérir le poison des vouivres, et ce remède ne pouvait être préparé à l'aide de la végétation qui les entouraient.
Se sentant partir, Ser Gowan eu encore la force de prononcer quelques mots. Ils furent pour Lleyane. « Prend soin de Rickard Perlander ». Des mots proférés à destination d'une personne pour qui il n'avait eu, jusque là, que défiance.
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