Inscrit le: Ven 12 Oct, 2007 14:46 Messages: 806
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En Nécropole. La nuit venait juste de tomber.
La jeune femme acheva de se maquiller. Du rouge sur ses lèvres, un beau rouge bien vif. Cheveux laissés libres de flotter autour d’elle. Comme la propre liberté qu’elle s’était offerte par sa prise de conscience. Une dernière touche de parfum. Vanilles et épices. Comme elle a toujours porté. Ultime vérification de sa besace et de son contenu. Il n’y avait pas grand-chose dedans. Quelques feuilles, quelques fanfreluches. Un foulard. Une chemise. Quelques vestiges qu’elle voulait emporter avec elle pour son dernier voyage. Ainsi qu’un anneau doré, qu’elle passa à son doigt. Elle se leva, complètement nue, et enfila sa mante noire. Rabattant sa lourde capuche, elle sortit, se faufilant dans les rues du Royaume qui commençaient à s’animer, et emprunta l’une des portes de la Nécropole.
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Une fois hors de vue, Syhl laissa tomber sa mante, et dans le même temps l’insigne qu’elle portait. Et c’est ainsi, nue, qu’elle s’engagea vers une destination connue d’elle seule. Elle chemina pendant plus de deux heures, libérée, heureuse, presque ivre de sentir le vent sur sa peau, les gouttes de rosée caressant ses jambes, la bruyère crisser sous ses pieds.
Puis elle arriva dans une clairière totalement dégagée, au milieu de laquelle se trouvait un dallage en pierre rond d’une vingtaine de mètres de diamètre. Au centre du dallage, deux longues chaines étaient ancrées, d’un peu moins d’une dizaine de mètres chacune, séparées d’environ un mètre. Syhl s’assit au sol, et enchaina ses poignets avec les lourdes chaines, puis elle prit soin de lancer la clé au loin, en dehors du dallage. Puis elle s’allongea, nue, sur le dallage glacé. Au dessus d’elle, le ciel d’un bleu nuit intense était constellée d’étoiles. Syhl était calme et parfaitement détendue. Pour la première fois depuis longtemps, elle prenait le temps de regarder les choses, de considérer le Temps. Apaisée. Sereine. Elle vit les constellations se lever, d’autres disparaître. Plusieurs heures passèrent ainsi, dans la contemplation et la méditation.
Elle se redressa et plongea la main dans la besace à côté d’elle et en retira une poignée de feuilles. Elle était allée les prendre dans la demeure d’Abred. Elle espéra qu’il lui pardonnerait cette intrusion… enfin, s’il sortait un jour de sa léthargie. Comment appelait-il cela déjà ? Savica Divinum. Quelque chose comme cela. Peu importait. Syhl savait que ces feuilles lui permettaient de voyager dans des sphères invisibles aux yeux des autres gens. Pour son dernier voyage, Syhl avait eu envie, elle aussi, de voir ces contrées, de voyager au-delà des sens. Quelle quantité prendre ? Qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? Elle risquait quoi ? De mourir ? Petit sourire ironique.
La jeune vampire considéra sa main. Une dizaine de feuilles. Etait-ce trop ? Elle s’en foutait pas mal. Par contre, était-ce assez ? Elle l’espérait. Elle les prit une à une en bouche, les mâchant avec attention et soin. Une dizaine de minutes passa avant qu’elle ne ressente les premiers effets. Ses yeux se dilatèrent imperceptiblement. Tout autour d’elle, les choses prenaient plus de consistance. Les sons était plus entiers, les odeurs du sous-bois proche plus fortes, plus odorantes. Les couleurs de la nuit lui paraissaient plus nettes. Comme si pour la première fois, réellement, ses yeux voyaient, ses oreilles entendaient. Elle poussa un profond soupir et continua à prendre des feuilles en bouche. Le Temps passa encore.
Petit à petit, ses muscles se détendirent. Elle se sentait « partir », comme si elle tombait en arrière. Comme si elle perdait pied. Sensation étrange, mais pas désagréable en soi. Dans le même temps, ses Souvenirs remontant à la surface, des visages apparurent devant ses yeux. Des visages familiers. Amis. Aimés. Ceux de sa famille. Sa mère, son père. Kaios. Ethan. La petite Viviel. Ceux de ses anciens compagnons d’armes. Des PesteN. Des Borns In The Teardrop. Des DTC. Des Vamps. Ceux d’ennemis de toujours aussi. Des Sylves. Des Avalons. Des Gard-Gnos. Tous ces visages tournoyaient devant elles. Certains souriant, d’autres plus sérieux. Certains riant, d’autres pleurant.
Syhl les voyait tous, les reconnaissait tous. Tous ceux qui comptaient pour elle. Qui avaient fait partie de sa vie. Qui avaient jalonné son Chemin. Qui lui avaient permis de devenir celle qu’elle était à présent. Tant de rencontres qui l’avaient construite. Syhl eut une petite larme qui coula le long de sa joue. Sa main enserrait encore quelques feuilles lorsqu’elle perdit le contrôle de ses muscles, la faisant retomber mollement sur la pierre.
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Au dessus d’elle, le ciel s’éclaircissait peu à peu. Le bleuté sombre de la nuit laissait peu à peu la place aux premières lueurs de l’aube.
La jeune vampire ne sentait plus la Faim lui tirailler le corps. Elle était bien. Elle se sentait de plus en plus légère, comme flottant au dessus de tout. Les premières couleurs apparaissant dans le ciel explosaient devant ses yeux, comme un kaléidoscope infini. Ces couleurs merveilleuses qu’elle avait tellement eu envie de revoir une dernière fois, avant de partir. n long ruban de brumes s’enroulait et se déroulait sous ses yeux, s’étirant, se contractant. Syhl eut un petit rire aux milieu de ses larmes. Etait-ce là son Chemin à elle, finalement ? Il semblait se perdre vers l’avant, dans une lueur aveuglante. Elle devait le suivre, elle le savait. Elle eut la sensation de tendre les bras vers lui. Pour continuer à le suivre. Parce qu’il était la promesse d’un A-Venir au-delà de tout ceci.
Syhl cligna un instant des yeux et sa vision explosa en mille morceaux. Le ruban avait disparu, seules le kaléidoscope de couleurs demeurait sous ses yeux, de plus en plus vif à mesure que la nuit s’achevait. Peu à peu, Syhl sentit une forte chaleur s’emparer d’elle, l’entourer, une chaleur étouffante. Le soleil se levait. Son corps essaya, dans un réflexe de survie, de se relever pour se mettre à l’abri de ses rayons mortels. Mais la drogue affaiblissait son corps ainsi que la Faim. Les chaines l’empêchaient de quitter le dallage, ce même dallage qui lui interdisait de s’ensevelir dans le sol pour y attendre que le jour passe et que revienne la nuit salvatrice. Rien n’avait été laissé au hasard. Syhl avait soigneusement préparé chacun des actes de cette soirée.
La jeune vampire se tordit sous la brûlure des lueurs de l’Aube. Elle ouvrit grand les yeux, haletante de souffrances, et alors elle Le vit. Ce n’était qu’une silhouette au lointain qui s’approchait. Mais elle savait que c’était Lui avant même de voir son visage. Oui, elle le savait. Son bel Amour. Son Abred. L’Humain. Celui qui l’avait aimée, qu’elle avait aimé. Pas l’être froid et glacé qui reposait dans sa crypte, non. Celui qui avait été un Homme autrefois, empli de chaleur et de vie. Celui qui l’avait prise si souvent dans ses bras. Celui qui lui manquait tant, depuis qu’il avait disparu. Syhl laissa libre cours à ses larmes en le voyant. Vision ? Réalité ? Etait-ce si différent, après tout ? Où était la frontière entre les deux ? Peu importait. Il était là, à lui tendre la main. Souriant de ce sourire si chaud qu’elle avait appris à aimer. Ses yeux brillants de cette lumière si particulière qu’elle aimait y lire autrefois. Comme une invitation. Comme un appel. Comme une attente. Il était venu, le Passeur, pour l’aider à franchir cette nouvelle Porte sur sa route. Elle ne s’était pas trompée. Le Passage était là à portée de main. Nimbé des couleurs flamboyantes de l’aurore. Il ne lui restait plus qu’un pas à faire…
…
Et dans un hurlement à glacer le sang, alors que les premiers rayons du soleil apparaissaient, triomphant, le corps de la jeune guerrière s’embrasa tout entier, brûlant également la besace et son contenu à côté d’elle. Les Flammes brûlèrent durant de longues minutes, avant de s’éteindre, ne laissant au sol qu’un peu de cendres qui furent balayées sous un coup de vent.
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Seul demeura sur le sol un anneau encore rougi par la chaleur. Un anneau, avec une inscription dans une langue d’un autre Âge." Tá grá agam duit "
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