Dame Natacha était adossée, brinquebalante, contre la paroi sale et défraîchie de la taverne du « Dernier Espoir Vendu » (Last Sale Hope, en langage local). L’entrée jouxtait le fond d’un cul-de-sac sombre et lugubre, où seule une lanterne à pétrole éclairait d’une lumière tremblotante le visage blafard et squelettique de Natacha.
Les affres du temps flétrissaient son visage décharné, mais on pouvait aisément percevoir, en l’observant, qu’elle fut jadis une fort jolie femme. Son front était exceptionnellement lisse pour une Dame de son âge. Il dominait une paire d’yeux fatigués, mais animés d’une vivacité étonnante. Ses joues creusées par des années de labeur, flanquaient une paire de lèvres usées. Ses cheveux d’un blanc laiteux, semblant cassants comme de la paille, tombaient directement sur ses épaules rachitiques. Ces dernières, dénudées, entamaient la courbe quasi inexistante de ce qui avait du être une poitrine engageante, un temps fut. Elle se trouvait maintenant plus proche de son nombril.
Dame Natacha était vêtue d’une robe de laine qui devait être, jadis, d’un bleu éclatant. A présent, le temps et les mauvais usages avaient rendu la couleur terne et délavée. Ce vêtement était rapiécé en divers endroits, et laissait parfois apparaître sa peau flétrie et bleuie, abîmée par les traitements bien souvent rudes d’une clientèle insatisfaite.
A ses frêles avant-bras pendaient des bracelets ternis couleur d’or pâle. Des bagues incrustées de fausses pierres teintées paraient ses doigts osseux et jaunis par le tabac.
Une petite musette pendait à sa taille, retenue par une cordelette de lin.
Fort callipyge au demeurant, ses minces cuisses étaient recouvertes de bas résilles noirs, déchirés eux aussi en divers endroits. Ils descendaient le long de ses jambes, et disparaissaient sous des sabots aiguilles d’un bois noueux et usé.
Elle tira maladroitement de sa besace une feuille de tabac et la roula, avec des gestes un peu gauches et tremblotants. Se hissant sur les talons, elle laissa un instant en contact le bout de la feuille avec la flammèche de la lanterne. Le bout braisé commença à crépiter, et elle porta la longue tige à sa bouche. Le geste était devenu automatique avec le temps.
Natacha tira quelques agréables bouffées, puis jeta le reste de la feuille incandescente sur le pavé, et l’écrasa avec son sabot.
Ce faisant, elle cru distinguer une ombre s’approchant au loin…Elle grommela d’un ton quasi inaudible :
« Pfiu ! Faut’y pas qu’j’travaille ‘core à mon âge ! C’tait ben mieux quand qu’j’avais trent’ ans d’moins, et qu’les gueux f’saient la queue ! J’travaillais moins, et j’gagnais plus ! Par tous les seins sur c’te maudite terre, pourquoi qu’les femmes c’pas com’ la bonne vinasse ! faut’y qu’on pourrisse ! Pfiu ! »
Elle cracha par terre pour s’enlever un bout de tabac d'entre ses dents puis fit claquer sa langue.
En s’appuyant sur le mur, elle se redressa et s’en fut dans son échoppe. Avant de claquer la porte de bois massif, elle retourna l’écriteau qui y était accroché.
On pouvait y lire : « Ouvert(e) ».
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