..."Il voulait me dire quelque chose, mais sa voix s'est perdue"...
L'ancêtre posa les grosses timbales de terre cuite sur la table d'une main tremblante, et s'assit en poussant un petit gémissement :
- mes articulations me font souffrir, c'est que je ne suis plus de la première jeunesse !
Murmura-t-il.
Des petits cheveux blancs couraient en frisotant sur son crâne un peu dégarni, ses sourcils bien fournis et son menton en galoche. Ses iris étaient d'un noir si vif qu'ils tranchaient avec le blanc un peu altéré de ses yeux. Il reprit d'une voix douce :
- Qui me fait l'honneur d'accepter mon invitation ?
- Germaine de TrouDuc !
Rétorquai-je aussi sec toute fière de pouvoir donner mon identité.
Vous savez bien le brouhaha qui sévit dans une taverne digne de ce nom : on a du mal à s'entendre et il faut hausser le ton pour cela ; mais vous savez aussi que ce bruit familier connait des moments de ruptures inexpliqués, ces temps de silence soudain comme si un concert avait été orchestré dans ce sens... avec ses pauses...
...Sauf que dans une taverne ces silences surviennent de manière impromptue et ce fut le cas au moment même où je m'annonçais : on n'entendit que MOI.
Etant donné que trop de têtes se tournaient vers moi, je cachais précipitamment la mienne dans la chope et avalait de travers le breuvage... infâme !
M'étouffant, crachant, toussant, je n'en fus que plus remarquée par l'assemblée qui choisit de rire de ma déconfiture... bien m'en fit (après réflexion) puisque les conversations reprirent leur cours habituel.
- mais c'est horrible ! Comment peut-on faire entrer une chose aussi âcre dans notre bouche !
m'exclamai-je.
Le vieux avait les yeux écarquillés par la stupéfaction.
- Germaine de Trouduc ? Non sans blague, vous n'avez rien de mieux à faire que de vous payer la tête d'un humble vieillard respectable ?
Alors je tentai de le convaincre de la véracité des faits, et plus je m'embrouillais dans mes explications alambiquées, plus l'ancêtre avait du mal à garder son sérieux. Il osa même partir dans un fou rire contenu avec peine, entre coupé de remarques telles que :
"Pas possible un nom pareil"... "Quelle touchante appellation ! Vos parents vous en veulent-ils à ce point ?"... "Dans le style délicat et harmonieux, ils auraient pu faire mieux"... et c... et c...
Tant et si bien que plutôt que d'en pleurer je choisis de me joindre à son hilarité, et l'alcool aidant, on se bidonna à n'en plus finir.
Mon partenaire reprit un semblant de sérieux quand je lui dévoilais le revers de mon sac et ma mésaventure amnésomaniaque, pour s'esclaffer de plus belle ensuite ! Je crois que je n'ai jamais autant ri de mon triste sort... maintenant que j'y repense.
La bière provoquant quelques chaleurs agréables dans mon corps, je terminais le contenu de ma timbale entre deux fous rires, même que j'en devenais pompette. Mais mes sens n'étaient pas encore tout à fait altérés et j'eus conscience de la suite des évènements :
Un groupe de DTC (c'est le viock qui m'indiqua le nom de leur Tribu, quand je lui demandais pourquoi ils tendaient l'oreille vers notre conversation et qu'il m'expliqua que c'était surement à propos de la Crevasse, chose que je ne compris pas puisque je ne voyais pas le rapport entre ma mésaventure, mon nom et une crevasse, mais vu que je ne comprenais pas grand chose à cette époque je ne relevais pas) proposa de danser la Tarentelle pour panser leurs plaies.
- hé oui les morsures de Tarentule ça fait bobo. Et Xatrio est une de ces légendaires Tarentules pour lesquelles fut crée cette danse aux vertus thérapeutiques.
Expliqua le grand-père.
Je fus happée dans cette danse frénétique et surprise de me voir accompagner les accords musicaux à gorge déployée. Nous enchainâmes sur une autre danse, appelée "Estampie", tandis que je reprenais en refrain (de ma belle voix) les rythmes scandés par des percussions, vièles et autres flûtes, comme si j'avais fait ça toute ma vie. La fête battait son plein, et dans l'allégresse d'un Saltarello, les hommes donnèrent eux aussi de la voix :
Citer:
"Germaineuuu, Germaineeeeeuuu
Une Estampie, ou un Saltarello
C'est du pareil au mêmeeeeeeeeeuh*
Du moment que je t'ai-meuhhhhh
Et que j'tai dans la peau,
O°O !!!
*(là je crois bien que c'étaient les Taurens nouvellement arrivés qui impressionnèrent par le "meuh").
Au O°O ils me lancèrent haut dans les airs, mais la partie la plus charnue de mon anatomie me rappela si vite au sol que personne n'eut le temps de me rattraper. Heureusement cette même partie dont je tairais le nom (il y a des lourdeurs qu'on préfère éviter) amortit le choc mais le gros "BOUM" qui accompagna la chute mit un terme aux festivités et tout le monde alla se coucher.
Monsieur le Rêveur, n'ayant plus de chambres disponibles pour mon compagnon et moi-même, nous installa de façon rudimentaire des couvertures à même le sol dans un réduit à part.
Au petit matin, après un sommeil sans rêve (difficile à croire en de tels lieux) je fus réveillée par un chatouillis dans la nuque : je tournais le dos au viock et apparemment il écartait ma chevelure abondante pour inspecter l'endroit qui avait reçu le choc étant la cause de mon amnésie.
Je l'entendis s'étonner.
- Ohhhhhh comment se fait-il ? Des indices sur ton origine sont gravés sur ta nuque.
Et il ne faut surtout pas que tu les montres à qui que ce soit ! En fait tu as deux pouvoirs, mais beaucoup de héros en ce monde en ont : la magie et les sorts y sont très développés pour palier aux difficultés de pouvoir se protéger matériellement. Ainsi de nombreux mages maîtrisent l'art des Arcannes du Feu ou de l'Eau, mais toi c'est autre chose. Ton premier don est de pouvoir lire les pensée d'autrui.
Je me retournai à ces mots ; le vieillard semblait très pâle, très fatigué, presque éteint, mais très sérieux.
- vous plaisantez ?
- crois-tu vraiment que mes pensées ont été exprimées par ma bouche ?
Son regard avait un peu de malice, et en effet il n'avait articulé aucun mot et pourtant je venais de l'entendre. Toute à la joie de cette découverte sur mes aptitudes et aux avantages que cela allait provoquer, je ne prêtai plus guère attention à la suite de ses révélations : grosse erreur de ma part ! je captais juste, entre la multitude de mes pensées, quelques unes des siennes :
"...personne ne doit lire ces caractères imprimés dans ta nuque, ne l'oublie pas"... "le deuxième don est assez original haha !"... "il s'agit de..."
Ce ne fut que lorsque je réussis à faire taire mes voix intérieures que je réalisais que les siennes ne me parvenaient plus.
La bouche ouverte, les yeux ouverts, il était, le vieillard, anormalement fiché, et je me sentis devenir glacée. Je le secouai, inutilement, et je compris qu'il venait de mourir. Je trouvais cette vision si horrible que je me dressai de tout mon effroi et poussai un hurlement qui réveilla tous les habitants de l'auberge.