Interdit, la main posée sur le chambranle vermoulu de la porte, Hellismine regardait la trollette gironde, qui, de ses doigts gracieux, l'invitait à entrer définitivement. A peine à deux mètres de lui, il put mieux la regarder. Elle était d'un vert-brun sucré, ses cheveux étaient plus foncés et semblaient doux comme un rideau de gaze rouge. Ses yeux, couleur de sang comme ceux d'Hellismine, étaient voilés, comme estompés par on ne sait quelle détresse et se mariaient d'une manière harmonieuse au sourire bleui, désenchanté, qu'offrait Lucella au troll. Son cou montait haut et surplombait un buste droit, bien charpenté, où tronaient, tels des montagnes sur une vallée aux milles merveilles, deux avant-coeur d'une rondeur calculée, deux orbes magiques sertis dans cette arme redoutée qu'est l'amour, que laissait paraître une robe légère, lourde de confidences et de promesses adultes. Hellismine était parvenu à faire un pas, un seul mais il était décisif. Lucella passa derrière lui et ferma la porte. Pris au piège. Lucella le regarda longuement, profondément. Elle aussi semblait intriguée par cette masse de muscles qui paraissait assez niais, pas trop laid, qui semblait perdu.
- Qu'ai-je acheté ? , lacha-t-il dans un souffle...
Le troll, maintenant promenait ses pupilles affolées un peu partout dans la chambre. Tout n'était que tissu dans celle-ci, des tentures drapées servant à décorer les murs aux tapisseries d'une autre époque, d'un autre usage, et aux rideaux de velours jaune, cachant le jour. Des fauteuils imposants qui ne recevaient jamais le séant de quiconque, avaient l'air d'attendre une quelconque occasion de servir et un semainier vieillot rassemblait certainement les vêtements de la belle. Au milieu de ces quelques meubles, majestueusement mis en valeur, paradait un lit de chêne blanc, d'une facture plus qu'honorable, habillé d'un couvre-pieds en marceline mauve. Hellismine, quand il eut posé les yeux sur cette somptueuse couche, fonça de peau et détourna bien vite le regard de ce lieu si intime.
- Je crois que je ne suis...
Lucella ne laissa pas au troll le temps de finir sa phrase. Elle s'approcha de lui, lentement, le front en avant, se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur les lèvres sèches d'Hellismine. On peut facilement penser que c'est à cet instant que ce dernier commença à comprendre, enfin, ce qui l'attendait dans cette pièce. Il eut un mouvement de recul, un faible moment où confondu, il ne put piper mot. Lucella recommença, plus longuement cette fois-ci, elle s'accrocha à son cou, comme si amoureuse, elle l'empêchait de se détacher d'elle. La saveur melliflue de la bouche de la trollette ota toute envie à Hellismine de se retirer, il participa à ce moment avec toute sa foi de découvreur du monde. Il la prit entre ses grands bras et la serra plus fort, tentant de rendre ce temps, cette seconde enivrante, inaltérable à jamais. Puis ils se décollèrent et Lucella, plus ensorcelante qu'elle ne le fut jusqu'alors, tourna sur elle-même la tête penchée en arrière et s'arrêta, net, et fixant ses pupilles sur celles du troll, défit les attaches de la robe diaphane qui la maintenaient habillée. Le coeur d'Hellismine frappait fort dans son thorax de tauren, ses mains tremblotaient, un peu, et ses jambes puissantes avaient perdu de leur belle assurance. Il parcourait ardemment des yeux le corps de celle qui allait être sienne, comme un voyage virtuel sur des contrées encore inexplorées. Puis il s'approcha, la main tendue comme la tendrait un mendiant de l'amour, et caressa l'épaule gauche de Lucella. Celle-ci se blottit alors contre lui, une nouvelle fois.
- Viens...
Elle l'entrainait maintenant vers le lit qu'elle défit d'un coup de main preste. Les deux respirations rapides se mêlèrent en une symphonie vocale. Tout en offrant à Hellismine ses lèvres humides, elle entreprit de lui ôter ses vêtements et ses armes, pendant que lui profitait de sa position pour faire découvrir à ses doigts, les rondeurs divines et délicates de la trollette. La chaleur que le corps de Lucella dégageait, lui emplissait le coeur d'émotion, et son odeur, une odeur éthérée de marais humide, de plantes d'eau et de fleurs des rivières, autant de fines fragances chères à ceux de leur race, parvenait à ses narines et endormissait ses sinus. Finalement, ils se glissèrent dans les draps de reps blancs et se laissèrent aller à leurs envies, à ce plaisir des dieux, à la fusion des corps et des âmes qu'est l'amour physique.
- ... ma p'tite gôfre...
...
Pendant ce temps, Claude et un vieux gnome tout rabougri, discutaient de choses et d'autres quand un vacarme immense vint de l'étage, laissant tout le monde dans la grande salle pantois, figé, comme paralysés par l'évènement qui se produisait au dessus de leurs têtes.
- Ce n'est rien mon cher, c'est un troll qui vient de comprendre...
Le gnome sourit, puis à sa voisine :
- Oui, ces trolls, ils sont bien niais, mais une fois qu'ils ont compris...
- Ce bacchanal n'est pas sans me rappeler ce tauren, comment s'appelait-il déjà, qui...
...
Environ une heure après, Hellismine redescendit, l'air bête et le sourire au coin de la bouche, avec, à son bras Lucella, semblant heureuse, moins triste en tout cas. Il fit un signe de la tête en direction de la tenancière, lui indiquant qu'il allait partir. Sur le pas de la porte d'entrée, là où quelque temps auparavant la curiosité avait eu raison de lui, le troll, triste de devoir quitter celle qui, pendant quelques instants tout du moins, l'avait aimé du mieux qu'elle pouvait, dit quelques mots dans le creux de l'oreille de Lucella. Des promesses, de vains serments qu'il ne tiendrait jamais. Hellismine partit alors, convaincu qu'un jour, il retrouverait le chemin de ce lieu aux souvenirs indélébiles, puis se retourna et fit de grands signes à celle qui se tenait encore sur le perron. Le temps avait changé, il faisait plus froid, quelques gouttes d'eau tombaient, et dans le coeur d'Hellismine, la chaleur de Lucella commençait déjà à laisser la place à la brise algide de la vie.
_________________ Oubliez-moi, je vous en conjure. Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le pour moi.
Hellismine, troll né du Khaos
Fiche de perso
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