Soyinka volait à travers les prés et les bois, nerveuse, inquiète… Depuis quelques temps, elle dormait mal, de sombres rêves agitaient et écourtaient ses nuits, d’obscurs pressentiments alourdissaient l’atmosphère… Cela avait un rapport avec Elyra, Soyinka en était sûre, et se reprochait de ne pas avoir été plus à son écoute, de ne pas avoir été plus attentive… Elyra, qui semblait si tendue, si éteinte, ces temps-ci… Tout en s’accablant de reproches, Soyinka écoutait attentivement les ultrasons provenant des diverses chauves-souris qu’elle avait envoyées à la recherche de l’elfette après avoir constaté sa disparition. Tout en avançant, elle imaginait ce qu’elle ferait en la retrouvant… Des retrouvailles arrosées de larmes de joie ?? Soyinka fit la grimace, malgré sa forme de chauve-souris. Une bonne gifle pour lui apprendre à lui faire des frayeurs pareilles, oui !
Tout à coup, elle perçut un signal proche et entra dans une forêt obscure… Elle s’approcha jusqu’à percevoir des formes humaines, et se retransforma, se félicitant d’avoir emporté une robe… Qu’elle détestait ces transformations qui la laissaient toujours décoiffée et dans le plus simple appareil !
Elle s’approcha, curieuse, observant de derrière un arbre, et resta pétrifiée, bouche bée. Pas moins de cinq personnes tenaient salon dans cette clairière enténébrée, dont une elfette blessée, Elyra penchée dessus, Elvea, l’air soucieuse, une grande femme pâle au sourire cruel, et une licorne… De plus, Elyra, lui tournant le dos, était vêtue de cuir noir ! Du cuir !! Alors que la soie était tellement plus élégante ! Soyinka marqua un temps et se reprocha cette pensée alors que de graves événements semblaient en cours…
Elvea avait courbé la tête devant la grande femme inconnue, tandis que la licorne avait prononcé un long discours sur le fait de douter de l’amour du Prince Noir, le serment de le rendre heureux et autres recommandations qui firent ouvrir des yeux comme des soucoupes à Soyinka, yeux qui faillirent choir sur le sol en voyant le poignard dont Elyra avait menacé l’elfette blessée. C’est la vue de ce poignard, plus que tout, qui fit prendre conscience à Soyinka de la gravité du moment… Elyra, qui détestait les armes avait été jusqu’à brandir un poignard contre un être vivant… Lequel être (encore) vivant, un peu mal à l’aise, se dépêchait à présent de prendre le large, sans que nul ne prête la moindre attention à ses bredouillis de gratitude.
Soyinka se demandait encore si elle devait intervenir ou non, et commençait à trouver son poste d’observation très inconfortable… Elle jeta un regard noir à l’écureuil qui s’était installé sur une branche proche et observait la scène en mâchonnant nonchalamment une noisette, lui mettant des miettes dans les cheveux, puis ses yeux revinrent sur Elyra. Son sang se glaça quand elle vit l’elfette approcher le couteau de sa gorge… Son désespoir était donc si profond ? Soyinka ne prit conscience de son apnée prolongée que lorsque sa respiration se relâcha en voyant Elvea intervenir. Elle resta néanmoins pétrifiée, les mains tremblantes, et faillit sursauter quand une guerrière blonde entra en scène. Elle ne comprit pas ce qu’il se passait, mais comprit tout à fait, en voyant Elyra se détacher en pleurant de sa mère, que les choses n’étaient pas réglées, le poignard était toujours dans sa main…
Envahie d’une colère brûlante, mais surtout envers elle-même, Soyinka bondit sur Elyra, attrapa le poignard et le jeta au loin (espérant toucher l’écureuil voyeur), en criant, folle de rage :
Tu es devenue folle ?? Je préfère te tuer moi-même plutôt que te laisser faire une chose pareille !
Elle leva la main, prête à la gifler autant que nécessaire pour la ramener à la raison, mais remarqua à cet instant sa pâleur presque transparente, et son expression égarée… Ce n’était même pas de la souffrance, son visage était juste atone, vide, un masque cireux où seules les larmes étaient vivantes. Pour la première fois depuis des siècles, des larmes coulèrent des yeux de Soyinka, qui serra Elyra contre elle, se demandant pourquoi elle n’avait pas su voir ce qui n’allait pas… Elle murmura à l’oreille de l’elfette :
Elyra… Tu n’as pas idée de ce que tu apportes à tous, ici… Cette lumière, cette chaleur… Chaque personne que tu croises, à qui tu parles, voire même que tu regardes, recueille une part de ta lumière dans son cœur… Tu n’imagines pas l’apaisement et la joie que tu peux apporter aux âmes meurtries de ces terres ! N’es-tu pas la seule à avoir apaisé le cœur de Thanos ? Et puisqu’on en parle (en fait, songea Soyinka, il s’agissait plus d’un monologue, mais passons, l’important était de combler ce silence insupportable), pourquoi crois-tu que tant de gens se soient déplacés pour ton mariage, au mépris du danger ? Elyra, rien que te savoir heureuse près de nous suffit à nous rendre heureux…
_________________ Mieux vaut être belle et rebelle que moche et remoche!
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