Une porte massive se dressait à l'une des extrémités du couloir. Toute de bois épais, renforcée par des traverses de métal. Par la moindre trace de poignée ou de serrure : ce battant ne pouvait s'ouvrir que de l'intérieur, et même un bélier n'aurait pu l'ébranler une fois que la barre qui le tenait clos était assujettie. Rien ni personne ne pouvait donc entrer ici sans y être autorisé par le garde qui somnolait, assis au pied du mur...
Un mince filet de brume gris perle s'écoulait par un des minuscules interstices entre le bois et le chambrale de pierre, ondulant au gré des ronflements du dormeur. La fumée toucha le sol et se mit à tourbillonner sur elle-même, dessinant une forme élancée... Le garde ouvrit soudain les yeux... et resta bouche bée en voyant une elfe plantée devant lui. Il n'eut pas le temps de revenir de sa surprise : une main de fer se referma sur son cou, le plaquant au mur à la façon d'un rivet. Les pieds presque décollés du sol, l'homme parvint juste à émettre un râle étranglé. Shandra lâcha prise et le regarda s'effondrer comme un tas de chiffons. Elle recula de quelques pas avant de faire-volte face et de s'enfoncer dans les entrailles de la grande bâtisse.
Quelques portes, des escaliers, des corridors... C'était un véritable labyrinthe. Par chance, les harpies étaient faciles à ressentir, même de loin. Il y en avait d'autres... des centaines peut-être, qui tournoyaient au-dehors, rasant les murs de la tour et les toits des baraques de la ville... mais elles étaient plus faciles à repéréer quand elles étaient accrochées à quelqu'un... il fallait descendre encore... C'était là. Deux gardes en poste devant une porte dans un renfoncement...
Ils tressaillirent en se rendant compte de sa présence.
- Vous ne m'avez pas vue, déclara tranquillement Shandra d'une voix un peu rauque, les fixant bien en face de ses yeux d'argent. Vous n'avez rien vu, rien entendu, ce soir...
Le regard vague, un peu hébété, les hommes acquièscèrent et ne réagirent pas lorsqu'elle se glissa entre eux afin de poser une main sur la serrure. Il y eut un léger sifflement, un petit nuage de vapeur, et le mécanisme fondu libéra le battant. L'elfe se faufila à l'intérieur de la cellule. Un moment de vertige l'obligea à chercher le soutien d'un mur. Ce n'était pas le moment de faiblir : ces sortilèges de déplacement étaient littéralement en train de la vider, mais elle en avait encore besoin. Après, après seulement, elle pourrait lâcher prise l'espace de quelques heures...
Les harpies s'immobilisèrent brusquement, oubliant complètement leur victime.
- Ne vous approchez pas.
Les créatures hésitèrent : c'était une proie de choix qui s'offrait là... mais elle ne trouvaient pas de prise... Elles sentaient un esprit tourmenté qui les attiraient, mais il était protégé par une véritable coquille froide, lisse comme du métal... Un esprit mort, dont les derniers sentiments avaient été réduits en poussière... Les harpies fléchirent et se retirèrent dans un angle de la pièce, regardant Shandra se pencher sur l'esclave pour lui poser une main sur le front. Elles s'agitèrent rageusement en le voyant remuer à nouveau puis se redresser à demi, l'expression encore égarée. Leur victime était en train de leur échapper ! C'était impossible, impossible !
L'elfe soupira en voyant l'homme cligner des yeux. Une fragile lueur de raison brillait encore tout au fond de ses prunelles démeusurément creusées par la souffrance.
- Ca va aller, chuchota Shandra d'une voix qui commençait à vaciller. Partons d'ici. Je ne tiendrai pas plus longtemps...
Elle lui prit les mains et leurs deux silhouettes se délitèrent en un brouillard qui disparut dans une fissure de la voûte...
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