- Je vois que vos nouvelles fonctions vous ont gratifié d’un uniforme des plus rutilants. - Oui, le Grand Conseil a semble t il apprécié mes travaux de ces derniers mois. Vous savez ce qu’on dit, « l’habit ne fait pas l’Inquisiteur » mais c’est toujours valorisant, et je dois vous avouer que j’apprécie la prestance qu’il me donne.
Le Gnome marchait d’une allure décidée, arborant fièrement sa tenue vermeille brodée d’or. Il précédait d’un pas un Elfe portant les couleurs de l’Alliance, qui semblait le suivre avec intérêt, prenant mentalement en note les divers couloirs qu’ils empruntaient dans l’immense dédale de la cité d’Avalon.
- Tenez, c’est par ici.
L’Inquisiteur actionna un mécanisme dissimulé dans la pierre et les unes après les autres, les torches qui parcouraient l’escalier s’allumèrent en crépitant. Les deux individus s’engouffrèrent dans la spirale de pierre qui semblait descendre jusque dans les tréfonds de la cité.
- Et vous dites que la...,l’elfe hésita un instant, comment l’avez-vous appelé d’ailleurs ? - La Section Inquisitoriale de Recherche, la SIR ! Un petit hommage à qui vous savez. - Joliment trouvé. Et donc vous dites que la SIR pourra bientôt fournir toute l’Alliance ? - Nos meilleurs alchimistes sont déjà mobilisés dans tous les cas. Mais il est vrai que nous avons encore du mal pour trouver du personnel qualifié.
Tout en continuant leur discussion, le Gnome et l’Elfe poursuivaient leur descente, toujours plus profondément dans la structure de la cité. L’Inquisiteur n’avait à aucun moment ralenti la cadence. Il parlait machinalement, ignorant toutes les différentes portes devant lesquelles ils passaient de temps à autre, montrant à qui aurait pu en douter qu’il connaissait parfaitement son chemin. L’Elfe, lui, semblait beaucoup moins concentré sur la conversation. Beaucoup plus attentif aux inscriptions sur les murs, il tentait de mémoriser les étapes de leur descente et ne cesser de se répéter que le retour allait être de plus en plus pénible.
- Je savais qu’Avalon était profonde mais quand même…On a l’impression qu’on va rejoindre les oubliettes à ce train là, dit il en plaisantant.
- C’est à peu près ça, en quelque sorte, répondit l’Inquisiteur sur le même ton.
- Non mais plus sérieusement, vous étiez obligés d’installer les laboratoires si profondément ? - Oui malheureusement. Vous comprendrez lorsque nous y serons, mais les labos sont… Disons plutôt bruyants.
Après plus de dix minutes de marche dans des escaliers escarpés, l’ambiance commença à changer. Des cris, des gémissements de douleurs et des plaintes lascives se mirent à résonner dans les escaliers. A mesure qu’ils descendaient, les cris se faisaient de plus en plus précis, de plus en plus présents et de plus en plus puissants. Il ne faisait aucun doute dans l’esprit de l’elfe que son allié le dirigeait vers l’origine de tout ce raffut.
Lorsqu’ils parvinrent enfin sur la dernière marche, un petit pallier se présentait devant une énorme porte de bois. L’Inquisiteur se saisit du heurtoir et cogna trois coups. Après quelques secondes, le bâtant du judas s’ouvrit, ne laissant apercevoir que l’ombre d’un visage derrière la porte.
- Ha ! C’est vous maître Napo ! grogna l’ombre. - Oui, je suis venu présenter les locaux à notre cher ami. - Bonsoir, hésita l’Elfe.
- Oui, oui ; bonsoir, bonsoir, lança la voix rauque, je vous ouvre, je vous ouvre.
De multiples bruits de métal coulissant dans des charnières et de clefs que l’on tourne dans des serrures retentirent. Puis la porte s’ouvrit, dévoilant un colosse à la mine patibulaire. L’homme à la carrure impressionnante était vêtu d’un tablier blanc maculé de sang. Sur sa tête chauve pleine de cicatrices, des lunettes de protection à la visière salie par des gouttelettes de sang séché. A sa ceinture, une multitude d’instruments, à mi-chemin entre l’attirail d’un boucher et la panoplie d’un médecin légiste.
- Entrez, entrez. Je suis seul ce soir, oui seul. Les autres sont déjà partis, tous partis !
En s’écartant légèrement pour laisser passer ses visiteurs, le colosse dévoila le laboratoire. Un long couloir de cellules où croupissaient des prisonniers donnait sur une immense salle débordant de matériels en tous genres. Sur toutes les tables foisonnaient cornues, alambics, tubes à essais, fioles fulminantes en abondance, les murs étaient tapissés d’étagères remplies d’ouvrages ésotériques, d’herbiers, de livres de recettes et autres grimoires en tout genre, et le sol était couvert de tâches de sang séché. Sur l’une des tables, un homme, enchaîné, à demi-conscient.
L’Elfe qui emboitait le pas à l’Inquisiteur, scrutait chaque recoin du laboratoire, médusé.
- Mais ils sont humains ! - Ho oui, humains, nains, elfes et même gnomes, grommela le géant. On a de tout ici, de tout ! - Mais… - Ne vous en faîte cher ami, il ne s’agit ici que de traîtres et autres cancrelats de la pire espèce, précisa l’Inquisiteur. Vous connaissez les principes de l’Inquisition, tout le monde doit servir l’Alliance, d’une manière ou d’une autre, de gré ou de force. Les vermines qui sont là ont eu la mauvaise idée de s’acoquiner avec la horde ; nous les avons démasqués, jugés et condamnés à servir l’Alliance d’une manière qui permette à leur âme de se repentir dans l’au-delà. - Quand bien même… - Et vous croyez quoi, hein, vous croyez quoi ? La recherche, elle avance pas toute seule, ça non, ça avance pas tout seul ! Nous faut bien des cobayes si on veut trouver des recettes de qualité, ouais, nous faut de bons cobayes. - Si ne nous faisions pas d’expérience sur des humains, elfes, nains ou gnomes, nous ne pourrions pas mettre au point des potions performantes. Les cobayes hordeux ne sont pas de bons cobayes, leur physiologie est trop différente de la notre. Les potions que nous métrions au point grâce à de telles expériences risqueraient de s’avérer inefficaces, voire dangereuses pour nos hommes. Et en cas de besoin… - Certes…
L’Elfe parut se résoudre face aux arguments des deux alchimistes dont il emboitait le pas. Leur discussion les avaient conduit tout près de la table où le cobaye était enchaîné. L’homme arborait de multiples cicatrices sur tout le corps dont certaines encore très suintantes. Les yeux mi-clos, il semblait murmurer des excuses et des supplications.
- Alors, Igor, où en est le nouvel antidote ? Si notre ami a fait le chemin jusqu’ici c’est principalement dans ce but. - Oui, mes espions m’ont rapporté que la Horde serait proche de mettre au point un puissant poison. Je n’aimerai pas qu’on soit pris au dépourvu lors de la prochaine bataille. - Bah, voyez vous-même ! Il est encore en vie, ouai il est... Enfin il est encore en vie. Pourtant on n’y est pas allé de main mort, ça non, on n’y est pas allé de main morte ! - Vous avez suivi le protocole que je vous ai fixé ? - Point par point, sans faute, aucune faute ! Là il en est à sa treizième dose et il réagit plutôt bien, ouais plutôt bien. - Et c’est bon signe ? questionna l’Elfe.
- Très, intervint le Gnome. Les doses en question sont des cocktails de nos toxines les plus concentrées. Ce qu’on lui injecte aurait du le tuer dès la première dose. S’il est encore en vie après tant d’injection c’est que cet antidote dépasse toutes nos espérances. - Et vous pensez pouvoir le produire en masse ? En combien de temps ? - Rho, là on en a finit avec les injections, ouais on en a finit. Demain on le dissèque, on voit ce qu’il a dans les boyaux et si tout est nickel, on lance la production. Ouais, après la dissection. - On peut raisonnablement penser que d’ici une semaine nous pourrons fournir nos deux clans. Dans moins d’un mois nous en aurons très certainement assez pour équiper toute l’Alliance. - Tout cela me semble parfait.
L’Elfe tourna sur lui-même pour inspecter chaque recoin du laboratoire de la Section Inquisitoriale de Recherche, visiblement enthousiasmé par ce que lui présentait l’Inquisiteur. Il avait définitivement accepté les méthodes de l’Inquisition tant les résultats étaient satisfaisants. La mine réjouie, il souriait en imaginant ce que cette section allait pouvoir apporter à toute l’Alliance. Une section d’élite, dédiée à la recherche en alchimie, armant l’Alliance du meilleur du résultat de leurs expériences.
- Comme je vous l’ai dit, la SIR n’en est qu’à ses balbutiements. Mais je compte bien la développer. J’ai déjà lancé des recherches pour trouver de nouveaux candidats à recruter et former. Les Alchimistes Inquisitoriaux seront bientôt légion et la notion même de guerre en sera bouleversée, au plus grand bénéfice de l’Alliance…
_________________
|