Fier comme Artaban, brandissant haut son trophée gluant, le petit squelette exultait. Usant de tous ses tarses et métatarses, il dansait une petite gigue improvisée ponctuée de claquettes, de claquements de dents et autres mouvements du coccyx. Cela donnait plutôt un bel effet.
Toute l'assemblée se mit à applaudir son exploit (son précédent exploit, non pas la danse) : enfin une avancée, enfin un élément, quoique tripant, qui nous permettrait de faire avancer ce damné char.
Le squelette continuait à régaler l’assistance, à jouer au cow-boy en utilisant son lasso improvisé pour attraper et ficeler un pauvre zombie, et tout cela, Mesmorts-Vivantes Mesmorts-Vivants, rien qu'avec les dents !!
Au clair de lune ce fut l'hallali, tous à la curée. On se jeta sur les proies : on arracha, on étripa les zombifiés, clouant joyeusement leurs boyaux au char, se surpassant en habileté à faire des nœuds marins, les commentaires fusant :
« - alors tu vois je fais une maille à l’endroit, une maille à l’envers ...
- mais ça marche aussi une maille à l’envers et une maille à l’endroit hein … »
« - héhé, t’as vu mon nœud est plus gros que le tient tapette ! »
« - et oui, jvais vous le dire, le secret de ma tarte aux pommes, c’est mi-pomme mi-poire ! »
« - et tu vois quand je tire ici, ben ça rentre par là pour ressortir jusqu’ici. incroyable non, comme quoi la nature est bien faite »
« - celui-là de nœud jle connais bien, trois mois que j’y suis resté à m’y balancer … »
Les pauvres choses restaient impassibles, faisait preuve de ‘bovine attitude’, chose ô combien difficile lorsque l’on se fait éventrer.
Enfin, l'Œuvre fut prête.
Des torches furent allumées pour éclairer la piste, les petites vampirettes enfilèrent leurs gants de cuir noir, firent admirer leurs cuisses rehaussées par leurs cuissardes puis sortirent leurs fouets et les firent claquer au dessus de leurs têtes pour s’échauffer les poignets.
Valkyries partant en guerre, elles entrèrent alors dans la danse, virevoltant, huant et jouant du fouet sur le dos de leurs bêtes de somme : les coups pleuvaient, lacérant, léchant les plaies ouvertes, apportant l'énergie nécessaire pour faire avancer les forces vives ...
Les malheureux se courbèrent sous l’effort, leurs liens meurtrissant leurs chairs faisandées, avec pour seul but : AVANCER, fuir ces coups qui détachaient des morceaux d’eux-mêmes, faisant disparaitre petit à petit les derniers lambeaux de ce qu’ils avaient été.
Et enfin !! Ils arrachèrent avec peine le char qui pendant tout ce temps avait semblé ancré dans le sol. Les coups de fouets redoublèrent, les mules tirèrent avec encore plus d'énergie que possible, et le char roula pour de vrai sur ses roues.
Ce fut incroyable : les vivats fusèrent, les guerriers embrassèrent les magiciens, les loups-garous sautèrent dans les bras des squelettes, et même la nécromancienne arrêta de bouder dans son coin.
Tout en haut dans le ciel la lune éclairait la scène de sa pâle lueur, éclairant marins et cow-boys qui jouaient encore avec les tripailles.
Vite épuisés, la nuit s’étant installée au dessus de leurs têtes, il fut décidé de déplacer le campement de nuit des quelques mètres chèrement acquis durant la journée, ce qui fut fait en un rien de temps : tentes, chaudrons, charrettes et autres bric-à-brac furent trainés sur 5 mètres. Juste pour le plaisir d’avancer.
Les feux de camps furent vite allumés, les chaussettes mouillées décemment enlevées, l'on se prépara à passer une bonne nuit de sommeil réparateur, en attente impatiente du lendemain pour enfin mettre la pâtée aux autres races …
_________________ "La seule chance de gagner cette guerre c'est qu'en face ils soient aussi cons qu'ici."
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